Comment résister à un nouveau livre de
Pierre Lemaitre ? Je me plonge dans celui-ci alors qu'il n'était même pas prévu dans mes lectures annoncées.
Nouveau, pas vraiment, puisque
le Serpent majuscule serait un premier roman publié tardivement, comme une sorte d'hommage à un genre, le roman noir, le polar, le thriller, auquel l'auteur ne souhaite plus se frotter, après avoir magistralement démontré son immense talent en la matière.
J'ai choisi la version audio, lu par
Nicolas Djermag, qui a su donner à ce texte la tonalité caustique qui convenait.
Drôle de titre ! Pourquoi mettre une majuscule à un serpent ?
Pour indiquer un grossissement, une transformation en hydre ou en dragon…
Pour prévenir le lecteur que le récit va devenir très sinueux, que l'on va se perdre en circonvolutions…
Pour indiquer une démesure, certainement.
Une plongée dans un temps pas si lointain où tout n'était pas encore connecté, où l'ADN ne faisait pas tout, où les policiers essayaient, avant tout, d'étudier des faits, où l'on cherchait une cabine pour téléphoner, où l'on roulait en Renault cinq ou en Amy six, sans GPS.
Encore une fois, l'écriture de
Pierre Lemaitre est savoureuse, jubilatoire. Un vrai jeu de massacre ! Une montée en puissance de l'absurde ! Un ensemble très théâtral avec des situations sur le fil du rasoir, des entrées et des sorties de personnages aux pires moments, des quiproquos, des apartés…
C'est toute une ambiance « à l'ancienne », un peu désuète avec un côté très visuel qui, si c'était un film, conviendrait bien aux frères Cohen ou à
Tarantino.
Des personnages vieillissants, en perte de repères, avec cependant encore de beaux restes et une certaine façade, qui alternent des moments de lucidité avec des périodes où ils sont complètement désorientés.
Il y a Mathilde, une tueuse à gages qui honore encore quelques contrats. Quand tout va bien, elle est d'une redoutable efficacité et absolument insoupçonnable. Qui irait accuser une grosse vieille dame ? Sincèrement, elle a des airs de gentille grand-mère ! Mais, quand elle a des pertes de mémoire, tout part en vrille : elle oublie de faire disparaître l'arme du crime, fait des dommages collatéraux ou se trompe carrément de cible… Mathilde a un passé de résistante qui fait froid dans le dos, un savoir-faire un peu dérangeant.
Il y a aussi un ancien préfet, appelons-le « Monsieur », entièrement dépendant sans la gentille infirmière qui veille sur lui et son ancien protégé, devenu policier, qui passe le voir de temps en temps.
Et puis n'oublions pas Henri, celui qui donne ses missions à Mathilde et qui ne sait plus trop comment gérer ses manquements car il a des comptes à rendre en hauts lieux… Même s'il reste toujours cohérent et bien orienté, il commence à être un peu trop vieux, lui aussi. Et puis, il est peut-être toujours amoureux de Mathilde…
Pierre Lemaitre donne vie à toute une galerie de héros et d'héroïnes dont il a ciselé, à grands traits rapides mais convaincants, les personnalités et les psychologies. Les policiers ont des dégaines, des surnoms ; on les classe aisément dans des types, à la limite de la caricature. le voisin est un savant mélange d'ingérence et de bonne volonté. L'ex-future femme de ménage de Mathilde est une mère courage…
Des personnages secondaires attachants, que l'on suit avec tendresse et crainte à la fois puisqu'au fur et à mesure que les écarts de Mathilde font tache d'huile, ils meurent les uns après les autres, victimes d'un enchainement de circonstances surréalistes, mais méthodiques…
Des chiens aussi… Pauvres bêtes !
Décalé, déjanté… Rythmé…
Un bon format : il n'aurait pas fallu que ce soit trop long, tout de même ! Même si certains mystères ou zones d'ombres resteront en l'état…
Un pacte de lecture que l'on signe, ou pas ; disons qu'il ne faut pas rester dans l'affect et accepter, une fois pour toute, de plonger dans le second degré et d'y rester. Pour moi, cela a fonctionné : j'ai bien ri !
Une lecture qui m'a changé les idées, que je ressens comme une parenthèse curieuse, une variation burlesque… Ni plus, ni moins.
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