"Livre reçu dans le cadre de l'opération « Masse Critique » de Babelio dont je remercie les organisateurs ainsi que les éditions mentionnées.
Verger" est un écrit en prose avec retour à la ligne – comme des vers libres – ; pas de strophes mais des paragraphes ; pas de rimes mais des images ; peu de points et donc peu de majuscules – comme un souffle ininterrompu – ; une structure parcellée, un rythme impromptu, une parole qui jaillit du tréfonds de l'âme. C'est un écrit poétique.
Le récit, lui, est linéaire, il se déroule au fil des mois et des saisons. Il épouse le travail dans un
verger, en fait la description au cours des journées, depuis les détails jusqu'à des réflexions humaines et philosophiques. Les travaux comportent plantation, compost, paillis, traitement des maladies, greffe, cueillette, pauses, etc., pas forcément suivant cette chronologie, mais en parallèle pour certains, pour une vision d'ensemble. Au passage, l'auteur ne manque pas de critiquer les méthodes modernes : « tu sais trop combien ton grand-père est mort parce qu'il épandait des produits miracles par hectolitres sans la moindre protection ».
Cédric le Penven propose un « rapport au monde » attentif et attentionné, apposant « notre marque humaine » avec équilibre et le respect dû à la nature.
De la même façon qu'il soigne son
verger, il soigne ses blessures (p 25, 42-3, 52-3, 64, 68). Ou plutôt le
verger fait resurgir des souvenirs pénibles qui tendent à démontrer une violence intériorisée qui ne demande qu'à s'extérioriser afin de mieux guérir.
Pour le professeur de lycée, ce retour à l'enfance par introspection, intercale de brefs mais alarmants signes de maltraitance, de traumatisme, de brutalité qui dépassent la tolérance vis-à-vis de la rudesse campagnarde.
Passer du « je » au « tu », puis de nouveau au « je » imprime une distanciation. le narrateur s'« enferme des heures entières avec un double » (p 71) qui non seulement atténue sa souffrance, mais s'adresse éventuellement à un autre plus général : ce n'est pas « son » double mais « un » double. C'est lui qui va le « réconcilier avec [lui]-même », alors que son ambition ressemble à celle de « Prométhée et Sisyphe » (p 57).
Jardiner met en ordre le chaos. Conjointement, c'est un rappel incontournable : « j'avais oublié – tout doit disparaître. »
Ce titre a été ajouté à ma liste « Titres d'ordre végétal » et à mon essai en cours - voir sur anne.vacquant.free.fr/av/