Philip Larkin choisit de signer ses premiers écrits sous le pseudonyme de Brunette Coleman. Ses biographes d'ailleurs justifient généralement en partie ce choix par le fait que Larkin traversait à cette période un questionnement quant à son orientation sexuelle. Mais est-ce si important pour lire cet ouvrage composé de trois parties distinctes : un court roman intitulé 'Moeurs étranges au pensionnat de jeunes filles', quelques poésies rassemblées sous le titre de 'De Sucre et d'Epices', et enfin un court texte 'Pourquoi écrivons-nous ?'
La trame du roman 'Moeurs étranges au pensionnat de jeunes filles' débute par la disparition d'un billet de 5 livres sterling. Celle-ci sert de prétexte pour nous faire cotôyer des jeunes filles dans un pensionnat anglais dans les années 1940. Larkin suggère des relations ambigües dans un monde exclusivement féminin. le résultat est assez lisse, l'érotisme plus largement suggéré que décrit. Ou l'auteur se joue-t-il probablement du genre. Ce roman se révèle très sage, à la limite de l'ennui pour le lecteur à la recherche de suggestions plus 'torrides'. Ces jeunes filles m'ont laissée le plus souvent de glace.
Dans 'De Sucre et d'Epices' (daté de août et septembre 1943), deux poèmes sont largement inspirés d'oeuvres existantes : Femmes Damnées par Baudelaire, Ballades des Dames du Temps Jadis par François Villon. Ces sept poèmes sont ici encore un exercice de style. On peut bien sentir à certains moments comment Larkin se pastiche. Il écrit d'ailleurs en préface avec son humour tout britannique :"A mon avis, ils surpassent les originaux."
Larkin est au meilleur de sa forme dans le registre poétique - ce pour lequel il sera ultérieurement reconnu.
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L'Ecole au Mois d'Août
Pour Jacinth
Les patères du vestiaire sont libres désormais,
Et la porte de la classe fermée à double tour,
La poussière a terni les pupitres vides
Et un rayon de soleil paresseux
Traverse le plancher, et puis enfin,
Le soleil cesse de se montrer.
Qui s'est coiffé devant cette glace ?
Qui a gravé "Elaine aime Jill" avec des ciseaux
Sur le rebord de la fenêtre
Pendant le cours de couture, dans la somnolence de l'été ?
Qui a étudié sur ce piano
Dont les touches se taisent à présent ?
Ah, le panneau d'affichage a été enlevé,
Les registres sont rangés,
Et les cadettes d'aujourd'hui
Demain seront grandes ;
Même les équipes de natation pourraient bien disparaître
Et les professeurs de gymnastique se mettre à grisonner.
Tous ces jours, elle ne pensait à peu près qu'à elle, et l'affaire Moore n'était qu'une tempête dans un verre d'eau comparée aux dents de Mary, d'un blanc de lait, à l'éclat roux de ses cheveux, à ses taches de rousseur et à sa façon adorablement sérieuse de répondre aux questions. Hilary était consternée de s'apercevoir que son amour pour Mary redoublait à chaque parole échangée avec elle. Jusque-là, elles avaient eu deux séances de travail ensemble, et une troisième séance devait avoir lieu le soir même : Hilary se demandait si elle pouvait commencer à faire lire Mademoiselle de Maupin à Mary, mais elle songea qu'il faudrait trop de temps pour arriver aux passages pertinents. Ses lèvres s'arrondissaient en une expression amusée de sensualité insatisfaite. Si seulement Mary pouvait nourrir les mêmes sentiments à son égard !
Les sanglots ne tarirent pas, triste torrent de doléances confuses contre l'indifférence du monde, mais la main resta tendue et tira légèrement l'autre main. Myfanwy comprit, écarta les draps et se glissa délicatement dans le lit de Marie ; puis, comme celle-ci se tournait vers elle, elle la prit dans ses bras et couvrit de tendres baisers son petit visage inondé de larmes. Peu à peu les sanglots diminuèrent et Marie, comme si elle avait besoin de consolation, se blottit dans les bras de sa compagne. Myfanwy la caressa doucement et bientôt, la tête sur son épaule secourable, Marie s'endormit. C'était la fin d'une terrible journée.
Poème de Philip Larkin lu par lui-même
They fuck you up, your mum and dad.
They may not mean to, but they do.
They fill you with the faults they had
And add some extra, just for you
...
Ils te niquent, tes père et mère.
Ils le cherchent pas, mais c’est comme ça.
Ils te remplissent de leurs travers
Et rajoutent même un p’tit chouïa – rien que pour toi.
..
La Vie avec un trou dedans (trad. G. Le Gaufey), ed. Thierry Marchaisse