L'histoire commence à l'arrivée au Brésil du héros (qui entre parenthèses ressemble beaucoup à l'auteur : même métier, en particulier) à Belém, comme nous l'indique le titre du livre. Il a rendez-vous avec Olacyr de Freitas, car ils s'intéressent tous les deux à Blaise de Pagan qui fut le géographe de
Louis XIV et qui selon la légende était devenu aveugle et traçait ses cartes en fonction de ses souvenirs.
Or, c'est sur ses cartes que se basaient les navigateurs pour les échanges politiques et commerçants de la France à cette époque. Est-ce une légende ou pas ?
Toujours est-il qu'en sortant de l'ascenseur pour se rendre à ce rendez-vous, le héros rencontre un jeune garçon qui s'accroche à lui en criant « Papa, Papa, tu es revenu », « tu es là » et en s'agitant, criant de plus en plus fort, et notre héros pour le calmer va faire une réponse qui va changer le cours de sa vie. « Il avait grimpé le long de moi, comme un singe, comme à un cocotier, et ce ne fut pas par inadvertance de ma part ou étourderie »
Ce que j'en pense :
En répondant « oui », comme vous l'avez deviné, il va se glisser dans la peau d'un inconnu, Luis Carlos, parti chercher de l'or en Guyane quelques années auparavant et qui n'a jamais donné de ses nouvelles. Se glisser dans la peau au propre et au figuré, car comment retrouver des souvenirs qu'il n'a jamais eus sans se trahir.
Pour cela, il faut faire parler les autres et en dire le moins possible. Et l'auteur crée son histoire en fonction d'un thème qu'il aime : pourquoi nait-on ici et pas ailleurs, à cette époque de l'histoire et pas à une autre.
Cette histoire avait tout pour me plaire et je m'attendais à une réflexion sur le temps qui passe et la mémoire. En plus, cela se passe au Brésil, pays qui me fascine par son histoire, sa culture, mais en fait on ne sort pas de Belém, d'un quartier de Belém pour être plus précise.
L'auteur avance dans son histoire et nous fait découvrir la « femme » de Luis Carlos : Maria de Lurdès, Ricardo son fils, et les quelques personnes qui gravitent autour, puis il revient à plusieurs reprises sur son rendez-vous raté et le géographe de
Louis XIV.
On se promène dans Belém la nuit, (où tous les chats sont gris !) comme le suggère le titre, on se glisse dans la ville comme dans un costume, comme le héros dans la vie de Luis Carlos. La nuit de la mémoire ?
Il avance avec lenteur, une lenteur entêtante, presque sur place et on a parfois du mal à adhérer à ce qu'il nous raconte. Il aurait pu exploiter davantage la personnalité de chacun. On sait que son héros est journaliste et a écrit des articles sur Goa qui l'obsède, (un papier sur la survivance de la langue portugaise à Goa). C'est le seul bémol, mais en est-ce vraiment un ?
En tout cas, c'est très bien écrit. Il y a des phrases parfois sublimes qui viennent éclairer le texte qui ronronnait depuis quelques pages. Et cela donne : « le romantisme, moi… les contes de fées, ce sont des broderies pour distraire des vieilles filles monotones ». P 29
Ou bien ceci : « J'étais vide comme un chiffre zéro, mais justement, le chiffre zéro, c'est son vide qui fait sa puissance et sa gloire » P 31
Il s'est passé un phénomène curieux : j'avais du mal à entrer dans ce livre, quand soudain, dans le premier chapitre, il évoque la façon dont il visite la ville pour se l'approprier, en connaître, les ruelles, le moindre petit détail, qui m'a interpellé et c'est pour cela que j'ai continué, la curiosité un peu réveillée par la façon dont il parlait de ce contact, comme un contact physique, charnel. Il parle de Belém avec sensualité, comme il parle des femmes.
Bref, cet auteur, que je découvrais, m'a laissée déconcertée, avec l'impression de faire un « voyage en Absurdie » comme dirait
Stéphane de Groodt, et c'est certainement ce qu'il voulait … nous obliger à nous poser des questions, à faire des liens entre les évènements ou la vie des personnages. Par moment, on adore, l'instant d'après, on se demande où on va, mais on continue page après page, happé par l'écriture.
Quand j'ai refermé ce livre, il s'est passé quelque chose, comme une relecture dans l'inconscient et je me suis rendue compte du voyage intérieur dans lequel je avais suivi l'auteur et donc, plusieurs niveaux de lecture.
J'allais oublier: la couverture est magnifique et invite au voyage.J'ai envie de lire un autre de ses romans (qui sont assez nombreux) pour mieux connaitre
Gilles Lapouge.
Note : 7,3/10
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