Monsieur, vous oubliez votre cadavre

J'ai choisi un livre à sa couverture, et ça ne m'a pas réussi.
Aussi, il faut dire que Pascal Lainé, prix Goncourt 15 ans avant l'écriture de ce roman, a trouvé un titre diablement accrocheur, efficace, clignotant presque parmi les autres ouvrages du dépôt-vente. le livre me fit de l'oeil, je l'ai pris, l'ai reposé, et quelques recherches sur l'auteur m'ont incitée à retourner quérir l'objet.
Le polar, c'est pas trop mon truc, à la base. Je dois bien confesser avoir été un peu Agatha-addict dans ma jeunesse, mais la flamme est retombée après 4 romans.
Et là, paf, ce titre, CE TITRE ! Et je lis un peu partout qu'en plus ça va être drôle ! Alors forcément, quelques braises se sont rallumées.

« Et puis 1€ », me dis-je en moi-même de mon fort intérieur, « ce n'est pas bien cher pour la découverte ! ». J'en ai eu pour mon argent.

Dès les premières pages, mes aspirations à rire, ou même à sourire, ou esquisser tout rictus intérieur se sont envolées. Je crois cerner ce que d'aucuns appellent «humour » dans cet ouvrage : c'est un mélange de cynisme et de réflexions, mâtiné d'Audiard (ou de sa parodie par les Inconnus). Sachant qu'Un singe en Hiver m'a profondément endormie (au sens propre) et que l'engouement des Tontons Flingueurs m'a laissée de glace, je ne suis effectivement pas la lectrice idéale.
Le style général ne m'a pas emballée : trop de description qui se veulent subversives, de comparaisons sorties du chapeau. L'adverbe « comme » est présent à chaque page que s'en devient lassant, dans une pâle imitation de Proust, le lyrisme et le vocabulaire en moins.

Mais d'ailleurs, à qui s'adresse exactement ce livre ?
Certainement à des hommes, 40-50 ans, dont les tempes grisaillent autant que celles de l'inspecteur Lester, heureux autant que l'auteur de lire de-ci, de-là, des descriptions anatomiques de jeunes demoiselles.
Femmes, passez votre chemin. Peu de risque de vous identifier à un personnage féminin ici, il va sans dire que c'est un échec cuisant au test de Bechdel. Une caricature d'échec, même.
Si plusieurs femmes sont nommées dans l'oeuvre, elles ne parlent jamais ensemble. Même, idéalement, elles ne parlent pas et elles montrent un peu de chair. En outre, elles auront le bon goût de se classer comme suit :

- Les femmes qui parlent peu voire pas du tout, et peuvent faire fantasmer :
* Pearl Inshar (parce qu'elle est morte et mannequin, retrouvée à poil forcément),
* Catherine, la petite copine de Laurent, qui émoustille l'inspecteur rien qu'en short, et qui se retrouvera à se baigner nue dans le lac d'un hospice pour vieux riches, parce que comme elle ne s'attendait pas à patauger dans cet endroit (moi non plus), elle n'avait pas pris son maillot (sinon elle aurait aussi pu ne pas se baigner mais bon…).
Comble de l'intimation à se taire p. 203. à 10 pages de la fin : Catherine ose enfin faire une phrase dont l'objet n'est pas de s'extasier sur les capacités bricoleuses de son mec ou de proposer ses service de shampouineuse (?!?) à Lester. Attention ça va aller très vite :
« - Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? demanda Catherine.
Lester haussa les épaules sans rien dire. Elle aurait mieux fait de se taire, celle-là ! »
CQFD
* l'étrangère-tueuse à gage qui parle mal anglais (ce qui justifie l'absence de la moindre ligne de dialogue) et qui se douche (donc à poil) dans la chambre de l'inspecteur.
* Toute secrétaire ou autre femme « assez jolie », « jamais si provocantes que vues de dos », dont on peut bien entendu détailler à loisir « la croupe » ou les jambes. C'est pas mal quand elle est « déguisée plutôt en infirmière, blouse blanche moulante »

- Les pas-baisables :
* la femme de ménage « grosse femme au visage rose » qui découvre « des bras tout blancs et gras, où les coudes faisaient des fossettes ». Elle « médite sa jeunesse enfuie »puis « s'affale sur une chaise » avant de « bondir de sa chaise comme une grosse gazelle ».
* Madame Tin, qui fait des repas prêt-à-emporter à l'inspecteur, et à laquelle ce dernier veut refiler deux Yorks parce que pourquoi pas.
* La gynécologue Dr Rothmann, « bien plus convenable que son assistante », « petite femme rondouillarde, entre deux âges […] tout à fait la tête à s'occuper des bobos ».
* Les différentes vieilles riches de la clinique Adler.

En somme, les femmes ont le choix de faire office de maman (repas, bobologie, ménage) ou de putain. Un programme des plus novateurs.

Et les personnages masculins alors, me direz-vous, ils ne sont peut-être pas plus élaborés ?
Que nenni vous répondrais-je, il y a des magnats de l'industrie, des milliardaires, des policiers de tout grade, un Bob le bricoleur astucieux, un méchant pas gentil, des médecins...dont la psychologie n'est certes pas des plus détaillée, mais qui ont toujours plus de consistance que leurs homologues féminines dont on ne fait que décrire l'enveloppe externe.


Je passe également sur ces clichés de racisme ordinaire disséminés au fil de descriptions, dérangeantes parce qu'elles émanent de l'auteur et non d'un des personnages. On remarquera que les Noirs écoutent du reggae et sont décrits comme vivant dans la poussière, que la Mauricienne passe son temps à rire (astuce pour ne jamais parler ?), que l'Indien parle du Kâma-Sûtra, etc.

Encore un dernier aparté pour signifier ma circonspection aux relations de Lester et du couple Laurent/Catherine. Il faudra m'expliquer comment un inspecteur qui enquête sur une potentielle affaire d'État parvient à se confier à un couple de jeunes en camping-car/corbillard, rencontrés inopinément quelques jours plus tôt, jusqu'à les embarquer dans une violation de propriété privée qui met leur vie en jeu. Fallait-il mettre en suspens mon incrédulité comme dans un bon SF ?

Bon, passons pour les personnages. Et l'intrigue alors ?
Il s'agit bien de l'unique raison pour laquelle j'ai terminé ce polar : connaître le dénouement, surtout après les révélations extraordinaires concernant le cadavre de Pearl.
Là encore, grosse déception, la fin est bâclée, truffée d'incohérences. On se croirait dans un film de série B, avec le méchant qui s'exclame « oui, c'est bien moi le méchant, je vais vous tuer, mais avant je vais tout vous expliquer, comme ça vous aurez le temps de vous enfuir, ah ah ah je suis machiavélique ».
A ce titre, Pascal Lainé fait dans l'extrême finesse, puisqu'il obtient un point Godwin en faisant surgir Hitler (rien que lui!) de son chapeau, sans lien avec l'intrigue, mais uniquement pour bien nous donner à voir que le méchant est décidément un vrai méchant.

Je referme le livre, et je me dis que ce roman qui a presque mon âge, a bien vieilli. J'ai l'impression d'avoir assisté à la mise en scène du fantasme d'un écrivain, la cinquantaine passée et Playboy en main, qui me laisse sur le bord de la route.
Nous n'avons apparemment pas les mêmes destinations, et je dois trop m'exprimer à son goût.
Ciao, bon vent.