Les Îles noires est d'abord un bel objet. C'est un album de format réduit (24 x 16 cm) de 36 pages, pourvu de couvertures à rabats formant un très judicieux et élégant hublot en couverture, contenant une nouvelle de
Sylvie Lainé et des illustrations de
Philippe Aureille. L'ouvrage fait partie de la collection Petite Bulle d'univers d'Organic éditions, qui, ainsi que l'explique l'éditeur sur son site Internet, « se veut le terrain de rencontre entre un auteur et un artiste plasticien ».
L'album a été conçu à rebours du principe à l'origine de la majeure partie des ouvrages illustrés dans lesquels le texte précède l'image. Ici, l'auteure a conçu une trame narrative à partir des oeuvres poétiques de
Philippe Aureille. le plasticien combine dans celles-ci diverses techniques (retouche et création graphique sur informatique, photographie, dessin…) afin d'insuffler une vie nouvelle, fantastique, à des éléments naturels en les transformant en d'étonnantes créatures hybrides paraissant issues d'un univers onirique.
Je trouve malheureusement la juxtaposition des images et du texte assez décevante visuellement. Les polices, en couverture, sur la ligne de dos, et surtout celle retenue pour le corps du texte en lui-même, une police sans empâtements épaisse et insipide, me semblent assez mal choisies. Cette dernière est, certes, aisément lisible sur les fonds texturés, mais je me serais attendue, pour ce type d'album graphique, à un travail plus poussé sur la mise en forme du texte, à la manière de ce que
Dave McKean a pu faire en adaptant sous forme d'album la nouvelle de Ray Bradbury The Homecoming. La manière dont le texte est positionné sur la page, les changements de corps et de polices y jouent, tout autant que les illustrations, un rôle dans la traduction visuelle du récit.
Dans Les Îles noires, le texte, plutôt que d'être mis en valeur, paraît de trop, et encombre des pages sur lesquelles les images respireraient mieux seules. Cette mise en forme est révélatrice du fait que la nouvelle est ici subordonnée aux illustrations, et à l'excès il me semble. J'aime beaucoup l'idée qu'un auteur parte d'images pour créer une histoire mais, ici, ces images, mêmes très belles, sont trop nombreuses, et étouffent les potentialités du récit, le brident ;
Sylvie Lainé a trop peu de marge de manoeuvre pour s'en émanciper.
Dans Les Îles noires, les descriptions poétiques de
Sylvie Lainé transcrivent avec justesse les oeuvres de
Philippe Aureille, une à une et en détail, et ponctuent le récit de manière à assurer une répartition équilibrée entre texte et image, une contrainte supplémentaire pour l'auteure. À la lecture, on finit par songer à cet exercice assez scolaire qui consiste à imposer à un nouvelliste une série de mots sans rapport entre eux qu'il lui faudra placer dans son texte. de plus, l'auteure a beau avoir une belle plume, j'ai du mal à comprendre l'intérêt de mettre en rapport des images avec un texte quand ceux-ci sont à ce point redondants.
Pour ce qui est du récit en lui-même, si j'ai apprécié sa protagoniste, son détachement d'un quotidien monotone et sa quête d'un ailleurs où elle trouverait enfin sa place, j'ai été déçue que l'auteure, en faisant des oeuvres de
Philippe Aureille des réalités concrètes dans l'histoire, renonce à laisser planer l'hésitation propre au fantastique. J'aurais préféré qu'il soit question d'un regard singulier sur la nature et d'un univers onirique éminemment personnel, plutôt que d'un pouvoir de l'esprit sur la matière résultant dans l'altération effective de cette dernière.
En dépit de ces critiques, je ne regrette ni la lecture ni l'acquisition de ce très bel album. Je pense que la dureté de mon regard est due surtout à ma frustration d'y voir un potentiel demeuré à mon goût insuffisamment exploité. le talent de
Sylvie Lainé et
Philippe Aureille est évident, et j'aurais souhaité voir plus nettement le récit et les oeuvres graphiques s'enrichir mutuellement.
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