Une vieille légende suédoise raconte que si un homme a le malheur de trépasser le soir de la Saint-Sylvestre, tandis que retentissent les douze coups de minuit, le malchanceux sera condamné à conduire la funeste charrette grinçante et brinquebalante de la mort toute une année durant.
« Vêtu d'une large houppelande noire et souillée » et tenant à la main « le long manche d'une faux rouillée et émoussée »,
le cocher doit accomplir sa besogne, « effectuer la tournée des maisons endeuillées » afin de récolter les âmes des défunts pour le compte de la « sinistre Dame qui a pour nom la Mort ».
En ce soir de la Saint-Sylvestre, Edit, petite soeur de l'Armée du Salut, git, mourante sur son lit. Elle a contracté la tuberculose en se dévouant corps et âme aux miséreux et il ne lui reste plus que quelques heures à vivre. Elle s'accroche pourtant de toutes ses forces à la vie, car avant de mourir, elle veut pouvoir rencontrer une dernière fois David Holm, un homme alcoolique et mauvais qu'elle n'a pas réussi à remettre dans le droit chemin. Malgré toutes ses tentatives de persuasion, sa douceur et sa bonté, le bougre n'a cessé de se dérober.
Ce soir de la Saint-Sylvestre, alors que les salutistes le cherchent par toute la ville pour le conduire à soeur Edit agonisante, le voilà allongé à demi-mort dans le jardin derrière l'église.
Et tandis que résonnent les douze coups achevant l'année, il entend les abominables et terrifiants grincements de la charrette de la mort. Elle vient pour lui, lui seul peut l'entendre.
David Holm comprend qu'il a été choisi pour devenir le nouveau conducteur du funeste chariot et reconnaît en la personne du cocher de l'année écoulée, Georg, un fidèle ami de beuverie, décédé l'année précédente. Celui-ci va lui apprendre les douloureuses tâches qui incombent au cocher de la mort.
Pendant toute cette longue nuit, David Holm va faire face aux conséquences de son inhumanité, être le témoin impuissant des effets de ses agissements cruels, et comprendre enfin l'impact tragique de toutes les mauvaises actions qu'il a perpétrées autour de lui.
Mais est-il encore temps d'expier les fautes commises ?
La romancière suédoise
Selma Lagerlöf (1858 – 1940) déploie toutes les richesses d'une imagination exaltée, d'un univers fantastique et spectral, dans ce remarquable et austère conte noir qui s'alimente des légendes suédoises pour aborder le thème de la rédemption et du pardon.
Dans une ambiance froide et crépusculaire, l'on pénètre dans une Suède du début du siècle accablée par l'alcoolisme et la misère.
Ces véritables fléaux combattus par les frères et soeurs de l'Armée du Salut, donnent au roman la connotation un peu surannée d'une oeuvre à la morale chrétienne, mais qu'importe…Les phrases y sont belles, empreintes d'un doux lyrisme, le style classique y est admirablement maîtrisé et lorsqu'il s'agit de dévoiler les sentiments de douleur, d'amour, de remords ou d'humanisme, l'auteur n'a pas son pareil pour étreindre le coeur des lecteurs avec des envolées exquises de puissance évocatrice.
Selma Lagerlöf fait briller la lumière de l'amour et de la foi au coeur de la nuit vespérale. le conte noir se transforme alors en une lumineuse allégorie sur la rédemption, la délivrance et le salut des âmes.
Première femme à avoir reçu le
Prix Nobel de Littérature en 1909, la suédoise, qui obtint la consécration avec «
le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède », signe avec «
le cocher » un texte humaniste, profond et captivant.