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Citations sur Poésies complètes (107)

POÈMES INÉDITS

LES BOULEVARDS


Sur le trottoir flambant d'étalages criards,
Midi lâchait l'essaim des pâles ouvrières,
Qui trottaient, en cheveux, par bandes familières,
Sondant les messieurs bien de leurs luisants regards.

J'allais, au spleen lointain de quelque orgue pleurard,
Le long des arbres nus aux langueurs printanières,
Cherchant un sonnet faux et banal où des bières
Causaient, lorsque je vis passer un corbillard.

Un frisson me secoua. —Certes, j'ai du génie,
Car j'ai trop épuisé l'angoisse de la vie !
Mais, si je meurs ce soir, demain, qui le saura ?

Des passants salueront mon cercueil, c'est l'usage ;
Quelque voyou criera peut-être : « Eh ! bon voyage ! »
Et tout, ici-bas comme aux cieux, continuera.

p.455
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SOIR DE CARNAVAL


Paris chahute au gaz. L'horloge comme un glas
Sonne une heure. Chantez ! dansez ! la vie est brève,
Tout est vain, — et, là-haut, voyez, la Lune rêve
Aussi froide qu'aux temps où l'Homme n'était pas.

Ah ! quel destin banal ! Tout miroite et puis passe,
Nous leurrant d'infini par le Vrai, par l'Amour;
Et nous irons ainsi, jusqu'à ce qu'à son tour
La terre crève aux cieux, sans laisser nulle trace.

Où réveiller l'écho de tous ces cris, ces pleurs,
Ces fanfares d'orgueil que l'Histoire nous nomme,
Babylone, Memphis, Bénarès, Thèbes, Rome,
Ruines où le vent sème aujourd'hui des fleurs ?

Et moi, combien de jours me reste-t-il à vivre ?
Et je me jette à terre, et je crie et frémis
Devant les siècles d'or pour jamais endormis
Dans le néant sans cœur dont nul dieu ne délivre !

Et voici que j'entends, dans la paix de la nuit,
Un pas sonore, un chant mélancolique et bête
D'ouvrier ivre-mort qui revient de la fête
Et regagne au hasard quelque ignoble réduit.

Oh ! la vie est trop triste, incurablement triste !
Aux fêtes d'ici-bas, j'ai toujours sangloté :
« Vanité, vanité, tout n'est que vanité ! »
— Puis je songeais: où sont les cendres du Psalmiste ?

p.353
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Aux steppes du désert, à l'heure où l'azur morne
Fait chercher la fraîcheur au jaguar assoupi,
Les yeux sur l'horizon muet, vaste, sans borne,
Ensablé jusqu'aux seins, rêve un Sphinx accroupi.

À ses pieds, cependant, mourant comme une houle,
Un peuple de fourmis grouille noir et pressé.
Il vit, il aime, il va, puis lentement s'écoule
Sous ce regard sans cesse à l'horizon fixé.

Et ce peuple n'est plus. Le soleil écarlate
Là-bas descend tranquille, en une gloire d'or,
Puis l'haleine du soir, tiède et délicate
Disperse ces débris. Le grand sphinx rêve encor.

p.397
Extrait POÈMES INÉDITS, LE SPHINX, I, Le livre de poche 1970, n° 2109

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LITANIES NOCTURNES


C’est la Nuit, la nuit calme, immense.
Aux cieux d’étoiles éblouis
Les mondes roulent assoupis
Dans les flots épais du silence.

         *

Sur la Terre, là-bas, en France
Et sur ce point nommé Paris,
Un gueux n’a pas même un radis
Pour se lester un peu la panse.

Pas un radis. En conséquence
Il crève au fond de son taudis,
En criant : Dieu, je te maudis !
C’est la nuit calme et le silence.

         *

Dans sa cellule un Penseur pense.
Oh ! dans ce monde que tu fis
Pourquoi Seigneur avoir donc mis
Le Mal, le Doute et la Souffrance ?

Comment nier ton existence
Quand aux abîmes infinis
Par tes œuvres tu resplendis
Vêtu de gloire et d’évidence ?

Pourtant... Mais non ! toute science
Est vaine ! Ô ma raison fléchis
Devant les gouffres interdits,
Descendez torrents de croyance !

Mais, Seigneur, j’en ai l’espérance,
Oh ! n’est-ce pas, tu le promis
Il est là haut un Paradis ?
C’est la nuit calme et le silence.

         *

p.429-430
Extrait POÈMES INÉDITS, Le livre de poche 1970, n° 2109
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POÈMES INÉDITS

JUSTICE


… C'est l'éternel sanglot, c'est l'éternel cantique,
C'était celui que Job sur le fumier biblique,
Grattant sa chair pourrie avec un vil tesson,
Jetait au Dieu jaloux, au maître du tonnerre
Qui flagellait son droit du vent de sa colère,
C'est l'éternel sanglot et rien ne lui répond.

Seul Dieu, dans mon désert, auquel je croie encore
Ô justice, vers toi tout mon espoir s'essore.
N'es-tu que dans nos cœurs et pour les torturer ?
Réponds-moi, car tu tiens, tu tiens encor ma vie,
Justice montre-toi car si tu m'es ravie,
Dans le calme néant je n'ai plus qu'à rentrer.

Tu te tais, tu te tais. Et toujours le temps passe
Et tout sombre à son tour et pour jamais s'efface,
Aux flots de l'éternel et vaste écoulement,
L'Univers continue et toujours cette terre
Aux déserts du silence, épave solitaire,
Avec ses exilés roule stupidement.

Alors, elle est sans but cette amère odyssée ?
Et quand muet tombeau, cette terre glacée
S'enfoncera déserte au vide illimité,
Tout sera dit pour elle et dans la nuit suprême
Il ne restera rien, ni témoin, ni nom même,
De ce labeur divin qui fut l'humanité ?

Et tout n'est plus, torrent universel des choses
S'entretenant sans fin dans leurs métamorphoses
Que le déroulement de la nécessité,
L'homme entre deux néants qu'un instant de misère
Et le globe orgueilleux qu'un atome éphémère
Dans le flux éternel au hasard emporté !

Et cela seul nous reste, ô splendeurs étoilées,
Le blasphème et l'injure aux heures affolées
Et le mépris de tout aux heures de raison.
Et j'étouffe un cri sourd de rage et d'impuissance
Et je pleure devant la grande indifférence
Le cœur crevé soudain d'un immense abandon.
29 mars 1880.

p.404-405
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Sous le ciel pluvieux, noyé de brumes sales,
Devant l'océan blême, assis sur un îlot,
Seul, loin de tout, je songe au clapotis du flot
Dans le concert hurlant des mourantes rafales.

Crinière échevelée, ainsi que des cavales,
Les vagues en se tordant arrivent au galop
Et croulent à mes pieds avec de longs sanglots
Qu'emporte la tourmente aux haleines brutales.

Partout le grand ciel gris, le brouillard et la mer,
Rien que l'affolement des vents balayant l'air.
Plus d'heures, plus d'humains, et solitaire, morne,

Je reste là, perdu dans l'horizon lointain
Et songe que l'espace est sans borne, sans borne,
Et que le temps n'aura jamais... jamais de fin.
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XVI/DIMANCHES

         HAMLET : Have you a daughter ?
         POLONIUS : I have, my lord.
         HAMLET : Let her not walk i’ the sun ;
       conception is a blessing ; but not as
       your daughter may conceive.


Le ciel pleut sans but, sans que rien l’émeuve,
Il pleut, il pleut, bergère ! sur le fleuve...

Le fleuve a son repos dominical ;
Pas un chaland, en amont, en aval.

Les Vêpres carillonnent sur la ville,
Les berges sont désertes, sans idylles.

Passe un pensionnat (ô pauvres chairs !)
Plusieurs ont déjà leurs manchons d’hiver.

Une qui n’a ni manchon, ni fourrures
Fait, tout en gris, une pauvre figure.

Et la voilà qui s’échappe des rangs,
Et court ! ô mon Dieu, qu’est-ce qu’il lui prend ?

Et elle va se jeter dans le fleuve.
Pas un batelier, pas un chien Terr’ Neuve.

Le crépuscule vient ; le petit port
Allume ses feux. (Ah ! connu, l’ décor !).

La pluie continue à mouiller le fleuve,
Le ciel pleut sans but, sans que rien l’émeuve.

p.215
Extrait DES FLEURS DE BONNE VOLONTE, DIMANCHES, Le livre de poche 1970, n° 2109
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ÉPILOGUE


Pourtant, pourtant ! s'il y avait quelqu'un, là-bas !
Un témoin, dans le spleen de l'infini silence !
Il est, il sait, il voit ! — Oh ! qu'est-ce alors qu'il pense ?
Et d'où vient-il ? d'où ? d'où ? Mais non, n'y rêvons pas ! —

Il est ! n'est-ce pas tout ? — Puis, pourquoi serait-elle,
Cette vie, au chaos plutôt qu'à l'idéal ?
Et le ciel est si calme. oh ! ne voir dans le mal,
Qu'un infime ressort de la gloire éternelle.

Oh ! ne plus se raidir ! savoir que quand tout dort
Quelqu'un veille du fond de l'Eternité noire ;
Oublier le Progrès, le vrai, le beau, l'histoire.

Plus de spleens, de désirs furieux, de remord,
Rien ; croupir dans l'amour, en attendant la mort !
Comme ce serait bon ! — Ah ! qui me fera croire !
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FARCE ÉPHÈMERE

Non ! avec ses Babels, ses sanglots, ses fiertés,
L'Homme, ce pou rêveur d'un piètre mondicule,
Quand on y pense bien est par trop ridicule,
Et je reviens aux mots tant de fois médités.

Songez ! depuis des flots sans fin d'éternités,
Cet azur qui toujours en tous les sens recule,
De troupeaux de soleils à tout jamais pullule,
Chacun d'eux conduisant des mondes habités...

Mais non ! n'en parlons plus ! c'est vraiment trop risible !
Et j'ai montré le poing à l'azur insensible !
Qui m'avait donc grisé de tant d'espoirs menteurs ?

Éternité ! pardon. Je le vois, notre terre
N'est, dans l'universel hosannah des splendeurs,
Qu'un atome où se joue une farce éphémère.

p.19
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COMPLAINTE DES PUBERTÉS DIFFICILES


Un éléphant de Jade, œil mi-clos souriant,
Méditait sous la riche éternelle pendule,
Bon bouddha d'exilé qui trouve ridicule
Qu'on pleure vers les Nils des couchants d'Orient,
       Quand bave notre crépuscule.

       Mais, sot Éden de Florian,
En un vase de Sèvres où de fins bergers fades
S'offrent des bouquets bleus et des moutons frisés,
Un œillet expirait ses pubères baisers
Sous la trompe sans flair de l'éléphant de Jade.

       À ces bergers peints de pommade
Dans le lait, à ce couple impuissant d'opéra
Transi jusqu'au trépas en la pâte de Sèvres,
Un gros petit dieu Pan venu de Tanagra
Tendait ses bras tout inconscients et ses lèvres.

       Sourds aux vanités de Paris,
       Les lauriers fanés des tentures,
       Les mascarons d'or des lambris,
       Les bouquins aux pâles reliures
       Tournoyaient par la pièce obscure,
       Chantant, sans orgueil, sans mépris :
        «Tout est frais dès qu'on veut comprendre la Nature.»

Mais lui, cabré devant ces soirs accoutumés,
Où montait la gaîté des enfants de son âge,
Seul au balcon, disait, les yeux brûlés de rages :
«J'ai du génie, enfin : nulle ne veut m'aimer ! »

p.57
Extrait LES COMPLAINTES, Le livre de poche 1970, n° 2109
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