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Critique de Jakob1996


Elle a bon dos la Dark Academia.
Un livre sur le trouble des mots sans le trouble des mots.

Est-ce que cette vision du monde de R.F. Kuang est l'aveu d'un gigantesque échec de la mixité ? Est-ce que le monde est amené à devenir une grande agglomération de milliers de ghettos comme lorsque Dieu a puni l'humanité pour avoir voulu construire la tour de Babel ? Est-ce que les êtres humains peuvent se réduire à être les attributs positifs ou négatifs des clichés inhérents à leur groupe ethnique ? À toutes ses réponses, l'autrice semble nous répondre que oui et moi, je termine ce livre en étant réellement dubitatif, pour ne pas dire plus.

Paradoxes et énormes contradictions dans le préambule qui nous demande d'accepter que malgré le décor (Oxford au 19eme siècle), il ne s'agit pas d'un livre historique mais celui-ci est quand même truffé de notes de bas de page indiquant dans une large majorité d'entre elles des faits historiques racistes, misogynes, colonialistes et impérialistes.
Le ton est lancé, R.F. Kuang est aux commandes, elle va nous faire la classe et elle voudrait du silence.

le premier problème du livre est malheureusement très simple : si on l'aime et qu'on se pâme, on l'a compris en profondeur et on peut briller en société, médaillé qu'on est des championnats du monde des gentils ; mais si on le conteste, nous sommes racistes et, pire encore, si on le conteste alors qu'on est soi-même une personne racisée (je suis personnellement métisse avec une partie "visible"), c'est parce que nous n'avons pas encore ouvert les yeux (je suis vexé).
La fiction historique sert de porte d'entrée à une militance typiquement américaine universitaire, une idéologie politique et sociologique qui va nous expliquer jusqu'au gavage ce qu'est l'injustice, cette idéologie dont on parle partout soit en l'embrassant, soit en la vouant aux gémonies où le monde entier (bien binaire le monde parce que sinon, ça risque d'être trop nuancé et donc difficile à suivre) peut se lire grâce à une grille de lecture très simple : le caractère de chacun.e est en grande partie déterminé par son origine ethnique et sa couleur de peau (alors là, soit je suis encore vexé, soit je réalise dans une grande épiphanie que mon parcours personnel, mes idées/émotions sont en fait un mensonge que je me raconte à moi-même, la faute à une construction sociale qui ne rêve que de me voir asservi) et les méchants pas beaux, c'est les blancs, tous (ma maman est vexée, mon papa aussi mais c'est parce qu'il aime ma maman).
On peut évidemment me répliquer que le livre dépeint le 19eme siècle où le racisme et le colonialisme étaient pires qu'aujourd'hui, que le héros est racisé dans une Angleterre au sommet de son horreur coloniale ; on aurait en partie raison mais un rapide coup d'oeil au parcours universitaire de l'autrice nous rapproche immédiatement du parcours de son héros et il devient très difficile d'y lire autre chose qu'une sorte de miroir de sa propre vie puisque de toute évidence, il s'agit d'une biographie fantasmée.

Le second problème est qu'à mon sens il s'agit d'une relecture particulièrement biaisée et maladroite de l'oeuvre de Ursula K. Le Guin dans le Cycle de Terremer dont R.F Kuang semble s'inspirer. Dans Terremer, la magie est présente (comme dans Babel) mais pour y avoir accès, il faut connaître "le nom véritable des choses" ; une allégorie sublime de l'autrice du Cycle de Hain qui nous dit que le Pouvoir ne se trouve pas dans des objets du genre « un anneau To Rule Them All » mais dans la Connaissance.
Dans Babel, (soi disant) livre des mots, aucun d'entre eux ne libère, aucun n'éclaire, aucun ne révèle, point de connaissance, point de lumière, point d'humanisme mais la prédestination de chaque personnage qui, très loin de les libérer ou de les rapprocher, ne les révolte finalement jamais puisqu'elles et ils sont amené.es à ne devenir que les discours politiques de leurs couleurs de peau. Comment et pourquoi penser autrement puisque « tu viens de là » et que tu finiras par penser comme ton origine ?

Fin des êtres humains et avènement d'une nouvelle espèce : l'être-pamphlétaire. Le Guin nous invite à être meilleur.es, Kuang nous condamne à être des clichés.

J'espère de tout coeur que nous valons mieux que ça.
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