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Critique de de


Mobilisations de femmes et régimes de genre

Les rapports de genre ne semblent pas intéresser ici et maintenant, voir par exemple les dénis sur la culture du viol, l'inégalité socio-économique entre femmes et hommes, les violences masculines systémiques, la faible représentation des femmes dans les institutions, la division sexuelle du travail, etc.

Certain·es oublient bien volontairement le temps de la démocratie exclusive (le faux suffrage universel mais le vrai suffrage masculin), le refus du droit à la contraception et à l'avortement, le masculin générique de la langue muselée par l'académie, ou le refus de l'Etat français d'appliquer la directive européenne sur « à travail de valeur égale, salaire égal »

D'autres ou les mêmes oublient les mobilisations de femmes pour obtenir le droit de travailler sans l'accord du mari, la revendication de la libre disposition de leur salaire, l'égalité parentale, la reconnaissance du viol conjugal, le mariage pour toustes, etc…

Sans oublier celles et ceux qui, comme le rappellent les autrices en conclusion, « ont fait de la tolérance à l'homosexualité un critère de modernité propre à l'« Occident », tout en attribuant l'homophobie au reste du monde, notamment en l'associant à l'islam » dans le déni de leurs propres positions homophobe et sexiste…

Et qu'en est-il des mobilisations réactionnaires de l'église catholique à chaque avancée des droits des femmes, la confiscation non-mixte et masculiniste de la parole religieuse, les féminicides de celles qui veulent quitter leur conjoint, les groupes masculinistes et leur refus de l'autonomie des femmes au nom de l'intérêt des enfants dont ils ne s'occupent pas, la complaisance envers les pédocriminels, le refus de l'égalité au nom de la soi-disant complémentarité, etc…

« le genre tient une place centrale dans les discours qui, en France, stigmatisent l'islam et les populations musulmanes, les associent au « terrorisme » et à la violence », les décrivent comme une « menace » pour la démocratie et la République ». En introduction Abir Kréfa et Amélie le Renard soulignent le « postulat d'un islam intrinsèquement tyrannique envers les femmes », les stéréotypes de « la femme musulmane aliénée », du poids de la famille ou de « communauté » musulmane dont elles ne pourrait se libérer qu'en rompant avec l'islam. Les autrices rappellent que ces discours ne sont pas le propre de l'extrême droite et de la droite mais qu'ils innervent aussi la gauche et une partie de la gauche radicale. (Il ne faudrait pas oublier la misogynie et le sexisme dans les courants radicaux, de Sylvain Maréchal à Pierre-Joseph Proudhon et leur refus de l'éducation des femmes, la démocratie arrêtée à la porte palière et l'assignation revendiquée des femmes au foyer par Jean-Jacques Rousseau, le refus réitéré du droit de vote pour les femmes, la loi de 1920 contre l'avortement et d'autres faits glorieux de l'admirable République masculine et colonialiste…)

« Système D infériorisation culturelle et matérielle des personnes musulmanes ou perçues comme telles, l'islamophobie revêt en France de multiples visages ». Les autrices parlent de stigmatisation, de violences islamophobes, des clichés sur les sociétés dites « musulmanes », des guerres soi-disant pour libérer « les femmes musulmanes », d'exotisation des sociétés « renvoyées à un tout homogène et radicalement autre vis-à-vis de « l'Occident » »…

Leur démarche vise à se distancier du « sens commun », éclairer « les formes plurielles des résistances et mobilisations des femmes au Maghreb et au Moyen-Orient », de redonner sens au terme charia « en réalité, les sources de la doctrine et du droit islamique sont larges, les traditions multiples, la jurisprudence mouvante et les débats nombreux », aborder les « savantes religieuses ou féministes islamiques ».

Le livre met en évidence « les racines anciennes de ces féminismes et leurs histoires singulières », le développement de thématiques et de dynamiques propres, l'imbrication des thèmes de mobilisation (libertés et droits individuels, pour l'emploi, contre les colonialismes ou la guerre), le caractère collectif des résistances, la multiplicités des oppressions…

Abir Kréfa et Amélie le Renard mettent à distance les représentations essentialistes et a-historiques. Elles soulignent la grande diversité des conditions de vie et d'existence des femmes sur la rive sud de la Méditerranée…

Elles interrogent les « usages politiques des stéréotypes », les normes définies par les nationalismes, « Tous les nationalismes ont défini des modèles de féminité et de masculinité, les façons normées d'être socialement une femme ou un homme », les frontières tracées entre « eux » et « nous », les controverses entre « authenticité » et « importation », la polarisation de la question des femmes aussi « à l'intérieur de chaque société », la place centrale du travail et de l'exploitation et celle des inégalités socio-économiques, le genre « comme principe de hiérarchisation entre les hommes et les femmes », les sexualités, la fabrique du genre…

Si le livre porte sur les sociétés du Moyen-Orient et du Maghreb, les autrices rappellent que ces sociétés ne sont pas homogènes, que ni le terme « musulman » ni celui d'« arabité » ne sont des critères unifiant, que les institutions religieuses et les pratiques « différent fortement d'un pays à l'autre et au sein de chaque société », qu'il existe des minorités religieuses « animistes, chrétiennes, juives et/ou musulmanes » et des personnes agnostiques ou athées, que des Etats se sont construits contre l'arabité (état turc ou iranien), qu'il ne faut pas oublier les Kurdes et les Amazig, que la majorité des habitant·es des Emirats unis et du Qatar ont la « nationalité indienne »…

Nous devons nous interroger sur la nécessité de rappeler encore et encore ces différents points, contre les éditocrates, les faux savants et les vrais idéologues, sur les constructions mensongères ou les peurs paniques (mais bien intéressées) de certain·es (Laurence de Cock, Régis Meyran : Paniques identitaires. Identité(s) et idéologie(s) au prisme des sciences sociales).
Réfléchir oblige aussi rompre avec les définitions coloniales de « arriération ». Abir Kréfa et Amélie le Renard rappellent que « l'impérialisme européen a concerné l'ensemble des sociétés du Moyen-Orient et du Maghreb », les conséquences des accords Sykes-Picot, les cas de L'Iran et de la Turquie, la construction d'une « scène éditoriale » écrite par des hommes en France, les recherches nombreuses sur le genre au Moyen-Orient et au Maghreb…

Elles soulignent que « le livre ne prête pas au religieux une valeur explicative, mais tente d'en comprendre les usages », leur volonté de restituer les façons dont « les personnes, les groupes ou institutions le mobilisent ou non, dans quel contexte et de quelle manière », d'expliquer comment « les rapports entre hommes et femmes, les définitions des féminités et masculinités respectables ou déviantes, sont imbriquées avec l'histoire de la colonisation, de l'impérialisme et du capitalisme. Les transformations des rapports de genre sont liées aux colonisations, aux bouleversements du travail, à l'impact des guerres, mais aussi à différentes formes de luttes »…

J'ai choisi de commencer par des commentaires et de m'attarder sur l'introduction. J'indique le sommaire et pour quelques parties, je reproduis des citations comme invitation à étudier les belles analyses proposées…

Sommaire :

1) Genèse d'une question clivante. Entre impérialismes et nationalismes

Impérialismes, stéréotypes et dispositifs

Libérer « la femme » pour libérer la nation ?

Ecrire, secourir et (se) défendre sa patrie

« Les femmes n'ont pas été seulement des enjeux de luttes et des objets de fantasmes collectifs. Résistant aux assignations, sujets des mobilisations dans un contexte politique effervescent et violent, elles ont tenté de se frayer des voies plus ou moins indépendantes mais déterminées par diverses contraintes, de se faire entendre à travers des textes intervenant dans ces débats »

2) Militer sur plusieurs fronts

'Policer les corps pour « moderniser » la société ?

Des luttes plurielles et longtemps indissociables

La cause des femmes : Islam et financements internationaux

« La prétention à une application plus littérale de l'islam, qui devient l'idéologie nationale servant à établir des frontières de nationalité et de classe, repose sur des modèles genrés de différenciation entre les citoyen·ne·s, « femme » et « homme », essentialisé·e·s et les étranger·e·s »

3) Au travail

Colonisation, capitalisme et prolétarisation

D'un secteur public féminisé à une précarisation généralisée

Une division du travail marquée par de multiples migrations

« Nous voudrions rompre ici avec deux clichés : celui de l'inactivité des femmes de ces régions ; celui de l'homogénéité des sociétés concernées »

4) Guerres et occupations

Militantismes palestiniens et subversion des normes de genre

Dégradation des conditions de vie et accroissement des inégalités en Irak

5) Révolutions

Genre et mobilisations pour « la chute des régimes »

Les mouvements de femmes et/ou féministes entre radicalisation et renouvellement

« L'hiver islamiste » après le « printemps arabe ? »

« Les processus d'autonomisation des femmes sont certes menacés par la détérioration des conditions matérielles et les restaurations autoritaires, mais il importe de ne pas réduire le cours de l'histoire à deux séquences uniques et schématiques, où une restauration autoritaire, succédant à une situation révolutionnaire, refermerait définitivement les possibles que cette dernière avait ouverts »

« L'instrumentalisation de la question des femmes musulmanes à des fins impérialistes complique considérablement la tâche aux féministes du Moyen-Orient et du Maghreb ». En conclusion, « Genre et sexualité en circulations », Abir Kréfa et Amélie le Renard reviennent sur les vives résistances – dans tous les contextes – à la remise en cause de « l'arbitraire du genre », l'incrimination du féminisme « comme « guerre » contre la nation » dans le contexte particulier du Moyen-orient et du Maghreb, « L'anti-impérialisme peut alors être détourné pour discréditer les aspirations des femmes à la liberté, à l'autonomie corporelle et/ou matérielle, ou à l'accès aux mêmes positions sociales que les hommes ». Elles invitent à ne pas faire abstraction des contextes, à refuser de hiérarchiser et de subordonner une lutte à une autre, « Au nom de la priorité d'une seule lutte, antiraciste ou anti-impérialiste, des mouvements et des militant·e·s disqualifient les revendications de celles-ci lorsqu'elles dénoncent par exemple des violences perpétrées par des hommes perçus comme musulmans ou des régimes ayant constitué l'islam en religion d'Etat », à ne pas juger « de la légitimité des mouvements à l'aune » de nos propres expériences sociales, à comprendre le « noeud de contraintes tant matérielles que symboliques » qui s'exercent sur les individu·es…

Les autrices soulignent aussi les injonctions contradictoires qui pèsent sur les mouvements de femmes, les solidarités transnationales existantes à l'échelle régionale, les réseaux construits autour de thématiques comme « la réforme des codes de la famille », l'« égalité successorale », le remplacement de « la tutelle paternelle par la tutelle parentale », le droit des mères « à transmettre la nationalité à leurs enfants », les « références endogènes connues et reconnues de beaucoup », le mépris ou la marginalisation des droits des femmes après les reflux des mouvements sociaux « qui n'auraient pas abouti sans la contribution des femmes », les caractéristiques des mouvements LGBT et la volonté de réformer les codes pénaux, les répressions contre les gays et les lesbiennes en Egypte « alors qu'aucun article du code Pénal de leur pays ne mentionne les pratiques sexuelles entre personnes du même sexe »…

Je souligne la très grande rigueur dans l'utilisation des notions, des mots, loin des confusions volontairement entretenues autour des polysémies par certain·es : régime de genre, modèles de féminité, modèles de masculinité, etc. Prendre en compte l'historicité des normes implique de ne pas essentialiser les situations et d'en souligner les contradictions. Les tensions et les mobilisations engendrent des formes différenciées d'action et des choix d'agendas particuliers. Les exemples fournis dans différents pays sont très instructifs. Il n'y a pas une seule voie pour l'émancipation individuelle et collective, mais bien des cheminements historiques dans le desserrement ou le dérèglement des contraintes. L'égalité et la liberté n'en reste pas moins un combat pour toustes, dans des conditions très diversifiées, dans des hiérarchisations socio-économiques concrètes, dans des espaces structurant des privilèges relatifs ou non, dans des formes de combat toujours inscrites dans des espaces institutionnels… mais cependant animées par des principes d'espérance…

Un ouvrage très pertinent pour comprendre les difficultés spécifiques – difficultés que connaissant sous des formes diverses, les femmes dans tous les régimes de genre – des luttes des femmes sur la rive sud de la Méditerranée, les effets continués du colonialisme et de l'impérialisme, les convocations de traditions inventées…

Et plutôt de regarder le doigt tendu des idéologues, développons des espaces de solidarité internationaliste et pro-féministe contre les politiques de « nos » entreprises et états, refusons l'alignements sur de fantasmatiques intérêts « nationaux » et la glorification de nos sociétés dont le mensonge de l'« égalité-déjà-là »…
Lien : https://entreleslignesentrel..
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