« le printemps arrive, la fleur s'ouvre.
La fleur s'ouvre, je suis triste.
Bien cruel est ce printemps.
Au printemps, les fleurs sont splendides, mais il suffit d'une brève pluie pour les faire tomber. »
Au moment même où je m'apprête à écrire ma critique, mes pensées s'entrechoquent. Comment exprimer mon ressenti après une telle lecture ?
J'ai commencé ce livre en août, après la bouleversante critique de HordeduContrevent, et je n'ai pas pu. Après seulement quelques pages lues, je l'ai refermé, envahie par mes émotions, préférant repousser cette lecture à plus tard, attendre un meilleur moment.
Cette histoire ne m'a pas quittée pendant ces trois mois où je l'ai laissée de côté, je savais que lorsque je la reprendrai, j'écouterai jusqu'au bout, ce précieux témoignage.
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«
Les mensonges du Sewol » est un livre choc, un livre coup de poing, un livre poignant. Je n'ai pas de mots suffisants pour exprimer mon ressenti de lectrice. Tout un tas d'émotions fortes m'ont envahie durant ma lecture, de la colère à l'écoeurement, en passant par la tristesse, la compassion. A certains moments, les larmes n'étaient pas loin.
Les étoiles que l'on met pour exprimer nos avis ont ici, un caractère puéril, indécent, voire irrespectueux car dans ce livre, il est question de centaines de vies humaines gâchées par l'irresponsabilité d'un armateur, l'incompétence de l'équipage, la lâcheté du capitaine qui a abandonné son navire, les graves manquements du gouvernement, la négligence des garde-côtes, les défaillances quant à l'organisation des secours.
Ce livre est le témoignage de Na Kyong-su, un des plongeurs professionnels qui a accepté de risquer sa vie pour remonter les corps des victimes piégées dans leur cabine.
Raconté simplement, ce témoignage n'en est que plus percutant et bouleversant.
« Quand je suis arrivé sur la barge, la première nuit, je me suis demandé comment je réagirais devant le corps d'un élève noyé dans ce chenal. En fait, ce cadavre trouvé, une seule pensée m'habite, celle de le sortir de là au plus vite pour le rendre à sa famille. Mes larmes commencent à couler. »
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Le 16 avril 2014, le Sewol sombre dans le chenal de Maenggol, emportant avec lui 304 victimes, dont plus de 250 lycéens, partis en voyage scolaire.
Les causes du drame restent encore aujourd'hui confuses, mais le profit, la corruption, le mépris des règles de sécurité pourraient expliquer cette tragédie.
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Des plongeurs professionnels vont alors se proposer pour aider les secours.
Ils seront en première ligne pour retrouver les victimes noyées dans les entrailles du ferry sud-coréen.
Malgré leur professionnalisme et leur expérience des plongées à haut risque, ces hommes aguerris et fiers vont plonger sachant pertinemment qu'ils mettent en péril leur santé et leur vie.
« Déjà sur la barge, la violence de la houle m'inquiétait. Au fond, le courant est bien plus rapide que ce à quoi je m'attendais. J'ai dit courant rapide. En fait, je me trouve à l'horizontale, comme un drapeau flottant au vent. Si je ne me cramponne pas à la corde, je serai emporté. Si je me raidis, je luxerai mes dorsaux et tordrai ma colonne vertébrale. »
Lors d'une plongée, ce sera l'accident et un des leurs décèdera.
Ce sera l'incompréhension et la consternation lorsqu'un d'entre eux sera rendu responsable de la mort de son collègue, accusé de négligence, de faute professionnelle et d'homicide involontaire.
Tenus au devoir de réserve, ses hommes ont offert leurs compétences, se sont investis au-delà de leurs limites physiques et psychologiques sans jamais se plaindre, considérant leur engagement de retrouver tous les corps comme un devoir moral envers les familles.
Le gouvernement en qui ils avaient une totale confiance, les a hypocritement utilisés, puis laissés tomber comme une vieille chaussette. Certains d'entre eux décident alors de ne plus se taire et de raconter.
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L'auteur Kim Takhwan relate avec beaucoup d'humilité et d'humanité ce drame, se mettant au service des plongeurs pour dénoncer tous les mensonges qui ont entouré le naufrage, l'irrespect infligé aux plongeurs, l'attitude scandaleuse et honteuse du pouvoir en place, la vision étriquée de l'opinion publique, l'indécence des journalistes.
Comment ne pas ressentir de la colère face aux injustices dont ils ont été l'objet ?
Le récit prend la forme d'un long réquisitoire sous forme de lettres adressées au juge du tribunal de Séoul dans laquelle le narrateur, Na Kyong-su, tente de disculper son collègue.
Son récit est entrecoupé d'entretiens, de témoignages avec des proches des victimes, des rescapés, des parents endeuillés, des plongeurs, des pêcheurs, des journalistes, certains Coréens exprimant leur opinion méprisante sur cet événement douloureux.
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Na Kyong-su se remémore la descente vertigineuse dans les profondeurs, les courants violents dans la passe, la visibilité quasi-nulle, la difficile recherche des cadavres dans l'épave, la remontée des corps.
« Une fois sous l'eau, je porte mon regard vers le haut et j'aperçois une flaque de lueur pâle qui s'estompe. Comment décrire cette sensation d'être chassé de la lumière du soleil ? Dire "obscurité" ne suffit pas. Même en plein air, cette impression perdure, celle d'une solitude. A croire que le chatoiement et le scintillement de la surface de la mer sous un soleil de printemps n'ont jamais existé. »
Il dénonce leurs conditions de travail éprouvantes, indignes.
Il décrit les maladies professionnelles auxquelles ils ont dû faire face après ces mois de plongées, les graves traumatismes dont ils sont encore victimes.
Il se révolte contre toutes les accusations mensongères et injustifiées, les stratégies de manipulation de l'opinion publique pour empêcher les gens de comprendre la responsabilité du gouvernement dans cette catastrophe.
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J'ai été émue par le sacrifice de ces hommes, leur solidarité, leur humanité, leur silence.
J'ai été touchée par le choix des mots. Les moments les plus glauques, la découverte d'un corps, sont aussi des moments magnifiques. Vous ne trouverez aucune description sordide de l'état des corps, seulement du respect et de la compassion. Na Kyong-su parle à ces enfants, les manipulant avec douceur et humilité.
« Les cheveux du corps ondulent, me masquent la vue et réduisent à zéro une visibilité déjà très mauvaise. J'ai l'impression d'être étouffé, étranglé. Puis, un visage apparaît à hauteur de mes yeux et s'immobilise. Nous voilà face à face. Les yeux clos, la noyée semble dormir paisiblement. »
J'ai été indignée par certains témoignages, la bêtise des gens qui se laissent manipuler par les médias sans aucune réflexion.
J'ai été dégoûtée par l'attitude du gouvernement.
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Les mensonges du Sewol » est un récit bouleversant sur le courage de ces hommes simples qui ont plongé parce que c'était leur devoir.
A découvrir.