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Critique de Luniver


En ce début de XIXe siècle, la Crète souffre. Cette île à la forte identité n'a jamais supporté d'être sous le joug turc, et les révoltes éclatent périodiquement. Cette domination paraît d'autant plus odieuse que la grande soeur grecque, elle, vient de retrouver son indépendance. Turcs et Crétois se regardent en chiens de faïence, les provocations s'enchaînent et les esprits s'échauffent.

Le capétan Michel est une figure emblématique de cette révolte crétoise. Il élève son fils dans cette unique idée, comme son père l'a élevé lui-même de cette façon. Sa famille entière est d'ailleurs de la même veine : un parent vient de déclencher le dernier scandale en date, en traînant un âne dans une mosquée pour « lui faire dire ses prières ». Et pourtant, malgré son statut de symbole vivant, le capétan est rongé par le doute : en cause, la femme du chef local turc qui ne veut plus lui sortir de la tête, et qui l'empêche de mener à bien son combat. Pour quelqu'un qui n'a jamais eu comme maîtresse que la Crète, la situation est particulièrement insupportable, et Michel sent le déshonneur le guetter.

Quelle drôle d'ambiance dans ce roman de Karantzakis ! le nationalisme y est poussé à son extrême : les hommes sont jugés au nombre de morts qu'ils ont fait dans les rangs turcs, et les enfants eux-mêmes ne rêvent que de couper la tête du sultan. Les intellectuels, ayant généralement voyagé sur le continent et donc pas assez « purs », sont ridiculisés et méprisés par la population entière : le maître d'école est tyrannisé par ses élèves, et même mis à la porte de sa maison par sa propre épouse ; il ne devra sa rédemption qu'en déposant les livres pour prendre les armes. le fils renégat qui ira chercher une épouse en dehors de l'île la verra dépérir une fois rentré chez lui : elle sera incapable de tenir debout une journée entière et sera victime de fausse couche, comme si la Crète elle-même se défendait contre les éléments étrangers qui voudraient l'envahir.

Les rôles homme/femme sont du même acabit : les premiers bombent le torse, étalent leur puissance et leur virilité, tandis que les femmes rasent les murs en silence, éblouies par ces mâles vigoureux et décidés, et terrifiées à l'idée de faire la moindre action qui pourrait leur déplaire. Les relations entre les deux sexes ont parfois un côté franchement bestial, avec ces dames qui hument et retroussent les lèvres au passage d'un partenaire potentiel.

Malgré toutes ces caractéristiques qui ne sont pas franchement ma tasse de thé d'habitude, cette lecture a été un vrai plaisir. Sans doute parce que l'auteur ne cherche pas à argumenter ou défendre une position, ce qui pourrait vite le rendre insupportable (ou ridicule), mais se contente de laisser évoluer ses personnages, qui vivent de cette manière sans se poser de questions. À la place, on vit dans la peau de David qui se lance dans un combat qui semble d'avance contre Goliath, auprès d'un peuple qui demande simplement à retrouver sa culture, ses rites, ses traditions et qu'on le laisse finalement tranquille. Tous les ingrédients sont réunis pour une épopée comme on en fait plus.
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