Citations sur Le Dictionnaire de ma vie - Gérard Jugnot (44)
Nous, nous ne touchions pas de subventions de l’État. Cet argent « sale » de la pub nous permettait de renflouer les caisses de nos spectacles souvent déficitaires. Ainsi, nous pouvions continuer à apprendre notre métier et à en vivre. Pendant un court instant, une ou deux journées, nous nous retrouvions vedettes d’un petit film, un premier rôle, objet de toutes les attentions et bien mieux chouchoutés et rémunérés que lorsque nous étions engagés pour une panouille dans un long-métrage.
Tout le monde n’avait pas la possibilité de faire carrière à Hollywood ou de vivre de ses rentes. Guitry était déjà une grande vedette avant-guerre, il avait fait de longues tournées en Europe et donc en Allemagne. Beaucoup d’acteurs et de réalisateurs ont d’ailleurs travaillé régulièrement avant 1940 dans des films tournés au sein des immenses studios de Babelsberg en Allemagne. La séquence avec Sacha Guitry dans Monsieur Batignole illustre parfaitement toutes ces questions que je me posais.
Mon enfance a baigné dans cette histoire de livres d’images comme savaient si bien la raconter Alexandre Dumas ou Sacha Guitry. Une histoire, parfois réinventée, simplifiée, ce qui la rendait si facile à comprendre. Quoi de plus apaisant que le blanc et le noir, comme à l’époque des gentils cow-boys et des méchants Indiens. Ce manichéisme nous rassurait, c’était une belle époque… La morale était à gauche, les fachos à droite en ligne directe avec les nazis.
Comprendre les grands principes du monde et leurs détails parfois dérisoires fascine le scénariste ou l’acteur que je suis.
Je me passionne aussi pour la grande histoire politique. Étudier l’ascension d’Hitler par les clauses humiliantes du traité de Versailles en 1918, la crise économique, la peur du bolchevisme. Savoir que ce dictateur était myope comme une taupe et le voir sans lunettes sur quasiment toutes les photos en dit long sur la coquetterie des tyrans !
Quand vous tournez un film contemporain, vous pouvez mettre votre caméra partout. Tout peut s’organiser de belle façon, mais rien ne vous y contraint « scénaristiquement ». Se projeter dans le passé vous oblige à composer chaque pl an, chaque cadre. Il y a une véritable création, une recréation à l’instar du noir et blanc qui n’existe pas dans la vie. Se transformer en reporter pour essayer de comprendre comment les gens vivaient, aimaient, souffraient est un plaisir inégalé. Et le fait de jouer dans ces films vous transporte encore plus : les costumes, les décors où vous évoluez, les déplacements à cheval, en charrette ou dans d’antiques voitures… Vous y êtes ! Vous touchez du doigt les sensations, les odeurs, édulcorées, soit ! La machine à remonter le temps fonctionne.
Dans mes films, je souris très peu. Je suis trop submergé par les emmerdes qui me tombent dessus. Mais dans la vie, le public ne supporte pas qu’un acteur de comédie n’arbore pas un grand sourire. Je me suis souvent fait engueuler parce que je ne souriais pas aux gens que je croisais. Ils oublient qu’on peut être malade, avoir un chagrin d’amour ou vivre un deuil. J’ai d’ailleurs toujours trouvé étrange qu’on désigne la plupart du temps un acteur de comédie comme le « comique » Machin ou Chose
Avec mon physique passe-partout, je ne passe plus beaucoup inaperçu… Moi, le petit garçon timide qui faisait des clowneries pour qu’on le remarque, je passe ma vie à me faire discret quand je ne suis pas en représentation. Quand j’étais jeune, j’avais beaucoup de mal à héler le garçon dans un café. Un manque d’affirmation et un terrible embarras me rendaient transparent. Aujourd’hui, quand je rentre dans un café en France, les têtes se tournent et je deviens souvent le centre d’attraction. La même timidité me fait parfois tourner les talons et m’enfuir… J’ai l’impression de vivre dans un village de soixante-six millions d’habitants. Le sentiment de ne pas exister fait place à l’observation de tous les instants. Même si je me suis un peu guéri de cette timidité, c’est assez particulier de ne pas pouvoir se gratter le nez en paix !
La peur de l’échec s’efface devant l’enthousiasme d’un succès. Cela dit, le succès demeure une condition nécessaire mais pas suffisante. En effet, on peut faire un très bon film sans être le premier du box-office. C’est la force de notre cinéma où il est possible d’être le meilleur sans être forcément le premier, contrairement au cinéma américain, où seul le box-office vous donne raison.
Quand on a la chance de rencontrer le public, le succès des autres vous fait plaisir. Dans l’échec, vous plongez dans une tristesse et un désarroi proches du chagrin d’amour et qui vous éloignent de toute générosité. Même si j’ai à mon actif quelques belles réussites, un certain nombre de films auxquels j’ai participé furent des échecs. Ceux que j’ai réalisés n’ont pas toujours rencontré le succès espéré. Je ne suis évidemment pas le seul, aucun de mes camarades ou confrères n’a échappé à cette dure loi du bide. Dans ce métier, on fabrique des prototypes et, à l’exception de quelques suites d’immenses cartons, il n’y a pas de recettes.