Philippe Jaenada a commencé sa carrière littéraire en nous parlant de lui. Cela m'a valu de lire «
le chameau sauvage », un sacrément bon bouquin (pour peu qu'on apprécie le style de l'auteur, de mon côté au premier essai une paire d'années auparavant, ça n'avait pas tilté et j'avais reposé le livre en me demandant ce que mes copines blogueuses pouvaient bien lui trouver !) et aussi « Plage de Manacora, 16H30 » (plus court, je vous le recommande pour découvrir l'écrivain), qui m'avait tout autant emballée.
Et puis, du propre aveu de l'auteur, la veine autobiographique s'est tarie (je n'ai lu que deux des sept romans appartenant à ce registre). Jaenada s'est donc tourné vers le fait divers. A Lire en poche, je n'avais pas résisté au plaisir d'aller papoter avec lui en lui donnant «
Sulak » à dédicacer … mais il faut croire que la vie du bandit en question ne m'intéressait que modérément puisque le livre est toujours dans ma Pile A Lire.
Je me suis dit qu'il en irait autrement avec «
La petite femelle », paru en août dernier, malgré son côté pavé (720 pages), car le personnage dépeint m'intriguait. J'avais découvert son existence en lisant le billet de Clara au sujet de «
Je vous écris dans le noir », roman de
Jean-Luc Seigle qui parle aussi d'elle, Pauline Dubuisson, née en 1927, étudiante en médecine au passé sulfureux (ses relations allemandes pendant la guerre) qui assassina son ancien amant en 1951. Son procès défraya la chronique et inspira, en 1960, le film de Clouzot « La vérité », avec
Brigitte Bardot.
Cette histoire,
Philippe Jaenada l'a prise à bras le corps et c'est toute la vie de Pauline Dubuisson, pas seulement son crime, qu'il examine de manière approfondie, car son acte ne peut pas être détaché de ce qu'elle est. Mais attention ! Quand Jaenada donne dans la biographie, il ne le fait pas de manière classique : c'est du Jaenada, qu'on lit ! Avec sa faconde (des tas de petites remarques ou métaphores bien à lui, telles : « même s'il est pédagogue comme je suis ballerine russe », « c'est comme équiper les poules de petits casques en cuir quand le renard approche »), ses multiples parenthèses (et après l'avoir lu, on en met partout) et aussi des incises de tailles diverses racontant telle ou telle anecdote privée plus ou moins en rapport avec le propos, comme celle, hilarante, concernant l'occurrence du mot « saucisse » dans ses romans. Vous voilà prévenus ! Que cela ne vous arrête pas pour autant, car ces apartés représentent quelques respirations bienvenues, autant que les commentaires bien sentis que l'auteur peut faire à propos d'untel et untel qui ont altéré la vérité pour mieux servir leurs intentions durant le procès : Jaenada nous dit les choses comme il les a découvertes et quand il n'est pas content, on le sait, le style académique ne passera pas par lui.
Au-delà de la forme, primesautière et percutante, avec un humour toujours apprécié, il y a le fond, en béton armé. Parce que le dossier Dubuisson, Jaenada s'y est totalement immergé et il le maîtrise de A à Z, aussi bien la psychologie de la jeune femme que les faits et leur contexte (on a ainsi un long développement sur Dunkerque pendant la guerre, marquant), avec sur la fin l'exposé de cas similaires à celui de Pauline mais traités par la justice de manière fort différente. Il a épluché et confronté tous les documents relatifs à l'affaire, fouillé dans les archives (« comme un tapir enragé »), bref il n'a laissé aucun détail dans l'ombre, c'est du boulot de pro (dommage que Pauline n'ait pas eu un avocat de sa trempe !). le résultat est passionnant (et passionné).
Après un tel déluge de compliments, vous vous attendez sans doute à me voir décerner trois ou quatre parts de tarte au titre de ma cote d'amour du livre, vous avez peut-être même déjà jeté un oeil à la fin du billet et là, surprise, il n'y a que les deux du « j'ai bien aimé ». C'est que le cas Dubuisson, tout intéressant qu'il soit, n'a pas réussi à retenir mon attention sur la durée. L'honnêteté m'oblige à dire que, en cours de route, mon emballement initial s'est affaibli, je me suis lassée de la principale protagoniste et de tous les détails la concernant et j'ai tout simplement abandonné le bouquin. Et pas que quelques jours, non, quelque chose comme deux mois … J'ai fini par le reprendre et en achever la lecture, avec un intérêt renouvelé après cette longue pause (d'autant que je m'étais arrêtée à un moment où il y avait un certain flottement dans la vie de Pauline Dubuisson, qui se répercutait dans le livre), et la qualité du propos ne s'est pas démentie.
Un roman biographique remarquable, donc, qui met en évidence à quel point la justice rendue a pu être conditionnée par les préjugés de l'époque, mais le nombre de pages est conséquent et la lassitude est malgré tout possible (la preuve).
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