Huysmans décrit son
Paris, celui qu'il a visité, celui qu'il aime et qu'il connaît. Il adresse sans fausse pudeur ses « croquis » à des amis, artistes et intellectuels. Tout commence aux Folies-Bergère. « Il faut ici de la musique pourrie, canaille, quelque chose qui enveloppe de caresses populacières, de baisers de la rue, de gaudrioles à vingt francs la pièce, le lancé de gens qui ont copieusement et chèrement dîné, des gens las d'avoir brassé des affaires troubles, traînant dans ce pourtour l'ennui de saletés qui peuvent tourner mal, inquiétés par leurs courtages louches de valeurs et de filles, égayés par des joies de forbans qui ont réussi leurs coups et se grisent avec des femmes peintes, au son d'une musique d'arsouilles. » En sortant de là, on est prêt à suivre l'auteur partout, dans les lieux les plus populaires, enragé de côtoyer comme lui le peuple de
Paris.
La blanchisseuse, le petit commerçant, la prostituée, le vendeur de marrons et bien d'autres sont gratifiés d'un portrait sans fard. Sous la plume crue et précise de Huysmans, le ton se fait paternaliste, tendrement goguenard, inquiet et complice. Ici, Huysmans n'est pas l'auteur naturaliste des débuts : c'est un homme curieux, un flâneur. Même s'il dit que « ce sont les fallacieux rosbifs et les illusoires gigots cuits au four des restaurants qui développent les ferments du concubinage dans l'âme ulcérée de vieux garçons », il ne s'agit pas de tirer des conclusions de toutes les observations qu'il mène. Il laisse cela à d'autres. Ne compte que l'instant pris sur le vif, l'immédiateté de la gorge qui se découvre et du cri lancé dans la ruelle. Huysmans est ici poète, critique d'art et peintre, mais avant tout jouisseur. Il se délecte de ces images crasseuses d'un
Paris canaille et superbement vivant. Mais son oeuvre n'est pas que pittoresque : Huysmans ne veut pas nos rires moqueurs, il tend au sublime. du fétide, du délabré et du médiocre s'élève toute la puissance de sa prose poétique. Les natures mortes qui closent le texte sont des rêves fantasmagoriques qui annoncent de prochains surréalistes. Huysmans est de ces auteurs qu'on ne peut classer dans un genre, tant il se les approprie, les sublime et les devance tous.
Et que dire des paysages ! Esthète mélancolique, Huysmans a sa propre idée du beau et il est impossible de ne pas la partager. « La nature n'est intéressante que débile et navrée. Je ne nie point ses prestiges et ses gloires alors qu'elle fait craquer par l'ampleur de son rire son corsage de rocs sombres et brandit au soleil sa gorge aux pointes vertes, mais j'avoue ne pas éprouver devant ses ripailles de sève, ce charme apitoyé que font naître en moi un coin désolé de grande ville, une butte écorchée, une rigole d'eau qui pleure entre deux arbres grêles. Au fond, la beauté d'un paysage est faite de mélancolie. » La ville n'est belle que tortueuse et humide. Ses atours publics sont méritants, mais la rectitude et la symétrie sont trop ennuyeuses. Huysmans recherche le mouvement partout : traqueur de vie et d'impulsion, ses croquis ne figent pas l'image, ils lui confèrent l'éternité du mouvement inachevé.
Si j'ai aimé les
Croquis parisiens ? Ça se passe de commentaires, non ? Une fois encore je suis séduite par la plume de
Joris-Karl Huysmans. Cette façon de tout dire dans le détail, mais sans alourdir la phrase, me transporte. Les métaphores et les images rendent sensibles un désir qui ne s'éteint jamais : naturaliste, sataniste, décadent, converti, ce qui anime Huysmans a plusieurs visages, mais un seul but : le plaisir. le plaisir de dire, le plaisir de décrire, le plaisir de rendre vivant.
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