Ce livre assez court, je l'ai ouvert, sans savoir, et ne l'ai plus quitté avant la fin. On tourne dans le paysage, on tourne sans cesse autour du non-dit et tout le livre devient une « image qui allie l'eau et le feu à la terre collante des carrières à ciel ouvert de l'enfance de l'auteur ».
Wolfgang Hilbig creuse la mémoire comme on creuse le sol dans ce pays minier, pour voir ce que l'on y cache.
Naissance d'un poète aussi lorsque, devant « la vie inconnue et qu'on disait morte », une langue nait qui remplacera le langage défaillant. « Obscure expression qui n'avait pas besoin de mots, de noms, de pensées logiques ».
C'est dans cet univers crépusculaire qu'il se découvre, et non dans le relatif confort de l'appartement où vivent ceux qui ne le comprennent pas.
« Oh par-dessus la fosse du savoir des masses, obscur trébuchement des mots et obscure chute des voyelles mortes : comme des pierres à leur gosier arrachées, et à la fumée de leur terre arrachée : cranes vocaliques, os consonantiques, consones masticatoires, voyelles pelviennes, ponctuations articulatoires, multiplication organique…et ils continuaient leur route avec de la terre sous leurs ongles, et leurs poches de pantalons remplies de dents en or »
Une histoire? Pas vraiment : le texte bloque toute lecture linéaire.
Mais si vous y tenez ! :
Les vagabondages entrepris au crépuscule par le narrateur, enfant puis adulte, le long d'un cours d'eau qui le conduit dans une zone frappée de honte: un équarrissoir où travaillent les parias de la société. Ce territoire jonché de cadavres d'animaux exerce une profonde fascination sur le narrateur.
Le passé est-allemand, nazi puis RDA, s'invite d'autant plus que l'usine s'appelle Germania II, du nom d'une ancienne mine où rodent encore les vieux dessins nationalistes de tout poil. « L'enfant pressent que l'histoire de cet endroit est aussi sombre et aussi mortifère que le paysage ».
Un final apocalyptique.
Un véritable choc !
Wolfgang Hilbig, né près de Leipzig en 1941, un père disparu à Stalingrad, sera élevé par son grand-père polonais, mineur analphabète qui éprouvera toute sa vie une méfiance envers les livres.
Il quitte l'école à l'âge de quinze ans ; apprentissage et différents emplois dans l'industrie métallurgique, avant qu'il n'exerce pendant une dizaine d'années le métier d'ouvrier-chauffeur, alimentant les chaudières d'une usine de sa ville natale.
Être en bas a façonné
Wolfgang Hilbig.
Lorsque le gouvernement de la RDA l'invite, à la fin des années 1960, à participer à des cercles d'ouvriers-écrivains, il comprend le décalage entre ses aspirations littéraires et la ligne officielle .Il refuse qu'on voit en lui un représentant de la « littérature ouvrière ».
Aux yeux des autorités culturelles de la RDA il incarne le modernisme et la décadence avant-gardiste.
Son premier recueil de poèmes paraît à l'Ouest en 1979, ce qui lui valut de la prison et une amende pour outrage à la loi sur les devises.
Mort en 2007 à Berlin. Mais à l'Ouest, il resta aussi, en esprit, marginal.