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Critique de Biblioroz


En choisissant ce livre pour des raisons géographiques car il se passe en Alaska, et en lisant la quatrième de couverture, je pensais simplement suivre les aventures d'une sorte d'ermite en symbiose avec la nature. Je n'avais pas imaginé qu'il me plongerait dans la vie d'un trappeur avec tout ce qu'implique ce métier de cruauté à l'égard des animaux dans le but de satisfaire le désir de certains pour la belle fourrure.
J'avoue avoir abandonné cette lecture dans un premier temps en raison de la manière dont sont détaillées toutes ses activités de chasse, ses prises aux collets de lapins, son premier piège à castors, sa méthode pour appâter puis achever un renard tout en étant fugitivement consterné par ces actes de mises à mort. « Je ne pouvais m'empêcher de songer aux animaux que je prenais, aux raisons et aux moyens de ces prises. Je passais des nuits entières à contempler ma piste, qui s'étendait dans la neige au-dessus de ma tête, et me voyais moi-même pris au piège ou au collet, mourant lentement de froid. J'éprouvais l'étreinte glacée du métal, le froid dans mes os. […] Leur vie et leur mort me hantaient comme une blessure dans ma chair.»
Son activité, comme il le précise lui-même, est dure et cruelle. « Je mets à mort une bête dans mon seul intérêt ». Ce constat vient souvent alimenter des réflexions sur la vie qui ne se résume qu'à un passage ici-bas quoi qu'on en fasse.

Sans aucune chronologie, écrits bien à postériori de ses multiples séjours passés dans ce Grand Nord, à Richardson, John Haines fait remonter à la surface des petits faits imprimés dans la neige, ses sorties sous des températures plutôt très rafraîchissantes, ses méthodes pour piéger de pauvres créatures sacrifiées afin d'assouvir des envies de fourrures, les cabanes qui abritaient ses errances, les silences des paysages glacés…
Cette petite succession de récits nous apprend que la neige parle à celui qui sait l'observer ; la neige et tout ce qu'elle dessine, ce qu'elle révèle, comme une poursuite de loups derrière un élan qui, cette fois-ci, a su échapper à ses prédateurs en gagnant un épais taillis d'aulnes.
Avec ses chiens, son traîneau et ses innombrables pièges, l'auteur se place aussi en prédateur. Il trace des pistes, marque ce territoire perdu tout en retapant des cabanes abandonnées par d'anciens trappeurs. Il tâte de son bâton la couche de glace des rivières à martres et souille de ses mains meurtrières ces vies sauvages qui ne se méfient pas.
Il a toutefois le mérite d'être tout à fait conscient qu'il ne faut pas épuiser la contrée de sa vie sauvage et dispose donc ses pièges en fonction de la rareté ou l'abondance de certaines espèces sur ces terres isolées.
Plus intéressants, les gestes simples et primaires face aux hivers précoces : bien se couvrir, prélever neige ou glace pour avoir de l'eau, rentrer du bois et s'assurer du stock de kérosène pour s'éclairer. Des histoires entendues dans une autre cabane, ou dans l'auberge du coin, viennent meubler les soirées d'hiver, se réchauffant d'un café arrosé de rhum.
Plus attrayants les passages naturels, peints avec poésie. Moins trente-cinq par un beau matin clair, les étoiles brillent encore et le gel fait craquer les gonds de la porte. le petit bois crépite dans le foyer du fourneau avant de diffuser sa chaleur. La matinée s'inscrit dans un rituel qui court tout au long de l'hiver.
L'auteur rend grâce à la luminosité émise par la neige, l'air vif qui pique le visage, les ombres dessinées par les bouleaux. le paysage glacé se révèle admirablement sous ses mots avec tout le silence qu'il retient sous sa couche de neige ou de glace. Les petits signes du printemps prennent ensuite le relais avec le bourdonnement d'une mouche, le soleil sur la nuque, la fonte de la neige, le chant d'un bruant fauve et la préparation du jardin.
Plus éblouissant, ce personnage de glace à qui John Haines prête des voix, celles de lamentations, de craquements, de cliquetis. Et les murmures de la rivière avant que la neige plonge l'ensemble dans son grand silence.
À noter également la richesse de cette vingtaine de magnifiques illustrations signées Ray Bonnell évoquant lynx, cabane, traces de glouton, crâne de caribou… et qui viennent embellir ces mémoires du Grand Nord.

Dans la mesure où l'auteur explique bien qu'il a choisi ce métier pour vivre sa passion d'homme des montagnes, qu'il ne tire pas d'autre profit de ses activités que le strict nécessaire à sa propre survie, j'ai pu finalement apprécier à leur juste valeur ces récits, cette variété d'anecdotes. Ce choix de vie, comme la réalisation d'un rêve d'isolement, dans cette nature extrême peut se comprendre.
On notera toutefois le paradoxe entre la vie qu'il mena, au plus près de la nature, dans un dénuement total, sans superflu, et qui est financée, étrangement, par l'envie de luxe de certains.
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