Citations sur Petites dents, grands crocs (14)
J'ai eu la folie des grandeurs. Penser qu'un goût immodéré de la littérature et trois pensées poétiques posées sur un carnet faisait de moi un écrivain. Écrit–vain. Ou la reine des poncifs. Une chose est sûre, je me suis perdue.
Une voix glapit : il est encore temps. Va-t'en. Pourtant, comme un automate, j'introduis les clés dans la serrure.
Thomas et Pierre sont installés devant la télévision, un plateau posé sur leurs genoux. Pierre entoure de son bras les fines épaules de Thomas qui se tient incliné sur le torse de son père. Sourcils froncés, bouche béante, il semble happé par les images. Leur immobilité, leur proximité, la fixité de leur regard, ce bloc unique qu'ils semblent constituer au moment où je pénètre dans la pièce me donnent l'impression qu'une bulle hermétique les entoure.
« J’ai parfois l’impression que Pierre se sert de mon corps, de mon vagin, comme d’une main géante qui le masturberait. En réalité, nous ne faisons pas l’amour, Pierre se branle dans mes orifices, jusqu’à ce que son sperme se répande dans mes entrailles. »
Ce départ sonnait la fin des heures quotidiennes de transport en commun, des décisions difficiles, de l’hypocrisie des rapports humains, des chasses à l’homme invraisemblables sur les réseaux professionnels, des réunions à n’en plus finir, le tout couronné récemment par le sentiment, non, la certitude, de n’être qu’un pion.
J’étais devenue en une nuit, résidente permanente du pays du sacrifice et de l’abnégation
Je l’observe quelques instants. À moins que cela ne soit lui qui m’observe, arrachant l’une après l’autre, d’un seul regard, les couches de vêtements et de chair qui dissimulent ma vérité. Mes organes, mes tripes, mes névroses, mes haines. L’espoir, l’effroi, la joie. Du rez-de-chaussée s’élève la voix de Pierre qui fredonne. Thomas. Mon fils, mon amour, mon mystère.
Une force maléfique, un dieu tout-puissant, un homme, venait de poser un couvercle sur ma vie.
« J’avais mis au monde un enfant, et ce qui aurait dû me combler me dépouillait au contraire de tout ce qui composait ma personnalité. J’avais cessé d’être Sarah, la fille, la femme, la cousine, la collègue, l’amie, l’amoureuse. Ne restait qu’une énigme. Une enveloppe à remplir. Une ombre à apprivoiser. Et je ne m’en sentais pas la force. J’étais piégée. Thomas était devenu ma prison. »
« Fais bien attention, le mariage peut être le siège de toutes les haines. »
Ma vie défile sans que j’y prenne part