Le symbolisme a son fondement dans la nature même des êtres et des choses, qu'il est en parfaite conformité avec les lois de cette nature, et si l'on réfléchit que les lois naturelles ne sont en somme qu'une expression et comme une extériorisation de la Volonté divine, cela n'autorise-t-il pas à affirmer que ce symbolisme est d'origine « non-humaine », comme disent les Hindous, ou, en d'autres termes, que son principe remonte plus loin et plus haut que l'humanité ? (…)
Le philosophe Berkeley n'avait donc pas tort lorsqu'il disait que le monde est « le langage que l'Esprit infini parle aux esprits finis » ; mais il avait tort de croire que ce langage n'est qu'un ensemble de signes arbitraires, alors qu'en réalité il n'est rien d'arbitraire même dans le langage humain, toute signification devant avoir à l'origine. son fondement dans quelque convenance ou harmonie naturelle entre le signe et la chose signifiée. (…)
La nature entière peut être prise comme un symbole de la réalité surnaturelle. Tout ce qui est, sous quelque mode que ce soit, ayant son principe dans l'Intellect divin, traduit ou représente ce principe à sa manière et selon son ordre d'existence ; et ainsi, d'un ordre à l'autre, toutes choses s'enchaînent et se correspondent pour concourir à l’harmonie universelle et totale, qui est comme un reflet de l'Unité divine elle-même.
(…) Cette correspondance [est le] véritable fondement du symbolisme. (…) et c'est pourquoi les lois d'un domaine inférieur peuvent toujours être prises pour symboliser les réalités d'un ordre supérieur, où elles ont leur raison profonde, qui est à la fois leur principe et leur fin. Signalons à cette occasion l'erreur des modernes interprétations « naturalistes » des antiques doctrines traditionnelles, interprétations qui renversent purement et simplement la hiérarchie des rapports entre les différents ordres de réalités : par exemple, les symboles ou les mythes n'ont jamais eu pour rôle de représenter le mouvement des astres, mais la vérité est qu'on y trouve souvent des figures inspirées de celui-ci et destinées à exprimer analogiquement tout autre chose, parce que les lois de ce mouvement traduisent physiquement les principes métaphysiques dont elles dépendent.
Mais revenons à la légende sous la forme où elle nous est parvenue ; ce qu'elle dit de l'origine même du Graal est fort digne d'attention : cette coupe aurait été taillée par les anges dans une émeraude tombée du front de Lucifer lors de sa chute. Cette émeraude rappelle d'une façon frappante l'urnâ, la perle frontale qui, dans l'iconographie hindoue, tient souvent la place du troisième œil de Shiva, représentant ce qu'on peut appeler le « sens de l'éternité ». Ce rapprochement nous semble plus propre que tout autre à éclairer parfaitement le symbolisme du Graal ; et l'on peut même y saisir une relation de plus avec le cœur, qui est, pour la tradition hindoue comme pour bien d'autres, mais peut-être plus nettement encore, le centre de l'être intégral, et auquel, par conséquent, ce « sens de l'éternité » doit être directement rattaché.
Spiritualité Islamique, l'Apport de René Guénon