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Citations sur Autobiographie d'un visage (20)

Chaque semaine, à la première petite lueur de mieux-être, quand je reprenais des forces après la phase de vomissements, je découvrais que pour moi la joie se mesurait en termes négatifs : je jouissais de tout ce qui m'était épargné, à savoir la douleur et l'épuisement. Je ne devais pas mon plus grand bonheur à des efforts, il était déjà là en moi, profond et sonore, atteignable par un processus qui consistait à abattre les murs de douleur où il était emprisonné. Je savais que ces murs étaient à l'intérieur de moi, et je sentais bien que la plupart des gens qui n'avaient pas connu le malaise physique à doses régulières ne le comprenaient pas, ne pouvaient pas le comprendre.
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J'avais presque treize ans.Tout ça durait depuis mes neuf ans, c'est à peine si je me rappelais à quoi ressemblait ma vie d'avant. Fini les injections, fini le Docteur Woolf et les vomissements. Ce que je ressentais, c'était de la peur et cette peur me faisait peur. Pourquoi n'étais-je pas soulagée comme j'aurais dû l'être ? Qu'est-ce qui n'allait pas ? Je n'avais quand même pas envie que ça continue comme ça éternellement ? Non bien sûr, aucune envie, mais la vie d'après la chimio me semblait impossible à imaginer. Complètement déboussolée, voilà ce que j'étais. Si inconcevable que pût être ma réaction, il me fallait admettre que j'avais peur de la fin d'une phase, du changement qu'elle impliquait. Je ne serais plus spéciale, personne ne m'aimerait. Sans la chimiothérapie pour faire mes preuves, comment montrer aux autres que j'étais digne de leur amour ? D'un autre côté, comment désirer que ça continue ?
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Puisque je n'allais jamais éveiller le désir, plutôt que de m'attarder sur cette prise de conscience cruelle, je m'attribuai, sans états d'âme et une fois pour toutes, le rôle d'héroïne de l'Amour. Au lieu de faire preuve de stoïcisme dans les séances de chimiothérapie, je deviendrais héroïque par mon appréhension de la beauté du monde. Je décidai que c'était justement ma laideur qui me donnait accès à cette beauté invisible pour les autres. Oui mon visage m'interdisait peut-être l'accès à l'amour et à la beauté dans leurs formes éphémères, mais ce même visage ne m'ouvrait-il pas des perspectives qui sinon seraient restées inatteignables ?
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Au collège, j'avais de plus en plus de mal à supporter les sarcasmes.
Longtemps j'avais cru que si une chose pénible se reproduisait suffisamment souvent, on s'y habituait. Si cela marchait pour la douleur, pourquoi pas pour les railleries ? Or chaque fois que j'étais en butte aux vexations, c'est-à-dire souvent plusieurs fois par jour, j'étais plus mortifiée que la fois précédente. Je savais ne pas écouter ou faire semblant de ne pas entendre, mais je sentais s'opérer un changement en moi : je me repliais sur moi-même. Autrefois j'étais extravertie et il pouvait m'arriver de me montrer encore pleine d'entrain, mais désormais mes contacts avec autrui étaient entachés de peur.
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C'était comme si ma maladie était une couverture que tout le monde avait jetée sur moi. Tout ce que voyaient les autres du dehors, c'était un tas informe.
Et vaille que vaille, j'ai transformé cette couverture en tente sous laquelle je campais presque joyeusement. Je n'avais aucune idée de ce que ma vie était censée être, je savais seulement ce qu'elle était. Je ne peux pas dire que j'étais heureuse au sens où on l'entend habituellement. A force de m'accrocher à des pensées apocalyptiques pour relativiser ma situation, il faut avouer que j'affichais un air assez déprimé.
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De tels instants ne peuvent se reproduire. Le fait de comprendre quelque chose d'essentiel, dans un fugitif état de grâce, à cet instant précis, sur la table d'examen, en regardant les yeux bleus ourlés de larmes de ma mère, ne m'empêcha pas, la minute d'après, de m'en vouloir à nouveau de pleurer, de manquer de courage.La présence même de ma mère me forçait à être présente, m'interdisait tout recul, et la consolation que m'a procurée l'évidence de sa souffrance s'est révélée à la fois éphémère et insidieuse.
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J'ai appris l'importance de se détendre, de tenir la peur en respect. Je suis devenue une machine à déconstruire la peur. On peut amadouer les pires douleurs si on se détend au lieu de résister.
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Plus tard, adolescente, j'ai eu un boulot dans une bibliothèque et, un jour que je rangeais les livres sur une étagère, dans la section médecine, je suis tombée par hasard sur un bouquin qui traitait des cancers chez les enfants. J'ai sorti le gros volume, l'ai posé sur la table et l'ai ouvert à la page de mon cancer, le sarcome d'Ewing. Là, j'ai lu un bref descriptif des symptômes, suivi des statistiques de mortalité. On estimait les chances raisonnables de survie à cinq pour cent.
[...] J'ai levé les yeux du livre. La pièce était déserte, j'étais étourdie par les néons blafards et la quantité d'étagères que j'avais encore à ranger. Cinq pour cent. Il fallait que je dise quelque chose, sauf qu'il n'y avait personne alentour et que je ne savais pas quoi dire. Posant la main sur mon cou, que j'ai senti palpiter, je suis restée quelques minutes pétrifiée, sur le point de bouger, de parler, de m'asseoir, de faire quelque chose. Puis ça m'est passé. J'étais déjà sur l'autre rive, vaguement consciente d'avoir oublié quelque chose, un nom, un objet ou une émotion, que j'aurais voulu retenir et que j'avais bêtement laissé filer entre mes doigts.
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Désormais, tout, absolument tout, devenait important : le goût du sel, du beurre de cacahuète et des tomates, la fine couche de neige sur le rebord d'une fenêtre entrouverte. Voilà comment il fallait vivre chaque instant pour réenchanter le monde : ne jamais perdre de vue l'éventualité d'une situation bien pire.
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De mon point de vue, je continuais à vivre une aventure fantastique. J'étais l'héroïne de ma propre émission de télé. Jusqu'alors, les plus grandes épreuves que j'avais vécues avaient été les situations de crise au sein de ma famille. Ce drame physique me procurait presque un soulagement. Par-dessus le marché, j'étais sous l'épée de Damoclès d'un autre compte-rendu de lecture à fournir à l'école, qui n'était pas prêt. Au moment même où je ne voyais pas comment m'en sortir, une perche inespérée m'était tendue. Cette impressionnante "opération d'urgence" tombait à pic, m'assurait un délai indéfini et me promettait par-dessus le marché une nouvelle tournée de cadeaux.Il me semble incroyable aujourd'hui qu'une épreuve aussi facile que de ne pas pleurnicher pour une piqûre ait été si généreusement récompensée, alors que mes efforts herculéens pour ne pas craquer face aux conflits familiaux passaient totalement inaperçus.
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