Raison et dérision

L’humour est la tonalité qui permet de s’écarter délibérément de l’indignation première. Il ne s’agit pas de tuer l’émotion ni de se moquer des souffrances d’autrui pour les dévaluer. Mais de la tenir à distance pour qu’elle ne vienne pas fausser la réflexion. L’humour est une démarche de raison qui réclame de l’intelligence et un peu de culture pour être compris.

A l'"Indignez-vous !" de Hessel, je préfère l'"Enivrez-vous" de Baudelaire.

Enfin, comme écrit plus haut, l'humour est la tonalité qui permet de s'écarter délibérément de l'indignation première. Il ne s'agit pas de tuer l'émotion ni de se moquer des souffrances d'autrui pour les dévaluer. Mais de la tenir à distance pour qu'elle ne vienne pas fausser la réflexion. L'humour est une démarche de raison qui réclame de l'intelligence et un peu de culture pour être compris.
L'ironie peut heurter ou choquer les sensibilités et les croyances. Et c'est normal : c'est sa fonction. Chacun peut être "choqué" par un dessin, c'est légitime. Mais apprendre à accepter d'être "choqué", c'est apprendre à accepter la critique de ses idées. C'est le fondement de toute liberté d'expression et de débats.

S'effiloche ainsi, par la perte de la distance, la compréhension des événements au profit de l'émotion qu'ils peuvent susciter. Et avec elle, le risque grandissant de bascule d'une société démocratique basée sur le débat vers une société de conflits et d'affrontements où, par exemple, l'on donne l'assaut au Capitole. La perte du langage commun, l'idée même d'un bien commun , au profit d'un communautarisme identitaire, tribal, essentialiste. On se définit par rapport à un camp, un groupe victime des autres , dont les prérogatives sont indiscutables et pour lesquels il convient de se battre.
La raison s'endort avec la perte de distance et le sommeil de la raison produit des monstres : Goya avait raison. Et tout compris.
Ce nouveau langage initié par Goya en posant son regard sur l'actualité tend précisément à prendre de la distance . Par le traitement graphique stylisé, loin de tout réalisme, et par l'humour. Usage du noir et blanc, traits caricaturaux, figures grotesques, ironie des sous-titres, etc. (pages 22 - 23)