« Les gens devaient penser que j’étais devenue folle, me dit-elle. La seule chose dont je me souviens c’est qu’on entendait au loin un grand charivari, comme si la noce avait repris de plus belle, et que tout le monde courait vers la place ». Elle avait pressé le pas, avec cette détermination dont elle était capable quand une vie était en jeu, jusqu’au moment où quelqu’un qui courait dans l’autre sens avait eu pitié de son désarroi.
« Ne prenez pas tant de peine, Luisa Santiaga, lui cria-t-on. Ils l’ont déjà tué ».
« La plupart de ceux qui se trouvaient au port savaient qu'on allait tuer Santiago Nasar. Don Lazaro Aponte, colonel de l'académie militaire en retraite et maire du village depuis onze ans, l'avait salué d'une signe des doigts. "J'avais toutes mes raison de croire qu'il ne courait plus aucun risque", me dit-il. Le père Amador ne s'en était pas préoccupé d'avantage. "Quand je l'ai vu sain et sauf, j'ai pensé que tout cela n'avait été qu'une turlupinade." Personne ne s'était demandé si Santiago Nasar était prévenu, car le contraire paraissait à tous impossible. »
Fauconqui fraie avec la grue guerrière, finie pour toi la paix d'hier.
Avant de se coucher, il alla au petit coin mais s’endormit assis sur la tinette, et quand mon frère Jaime se leva pour se rendre à l’école, il le trouva affalé à plat ventre sur le carrelage, et chantant dans son sommeil. Ma sœur la nonne, qui ne put descendre au débarcadère accueillir l’évêque parce qu’elle avait une gueule de bois carabinée, ne parvint pas à le réveiller. « Cinq heures sonnaient quand je suis allée aux toilettes », me dit-elle. Ce fut, plus tard, ma sœur Margot, en entrant se doucher avant de partir pour le port, qui réussit à le traîner à grand-peine jusqu’à son lit. De l’autre rive du sommeil, il entendit, sans ouvrir les yeux, les premiers beuglements du bateau de l’évêque. Puis il s’endormit comme une masse, épuisé par la bombance, jusqu’au moment où ma sœur la nonne entra dans la chambre en essayant d’enfiler sa bure au pas de course. Elle le réveilla de son cri de folle : « On a tué Santiago Nasar ! »
Alors, tous deux continuèrent de le poignarder contre la porte, facilement, en alternant les coups, avec la sensation de flotter sur ce méandre éblouissant qu’ils découvrirent de l’autre côté de la peur.
J’ai compris ce jour-là combien nous, les femmes, nous sommes seules au monde !
L’amour aussi, ça s’apprend !
//---- Titre original : Crónica de una muerte anunciada ----//
//---- Citation d'ouverture ----//
« La chasse à l'amour est chasse de haut vol. »
GIL VICENTE
//---- Langue originale : espagnol (Colombie) ----//
Pour la plupart des gens, il n'y avait eu qu'une victime :
Bayardo San Roman.
On supposait que les autres protagonistes de la tragédie
avaient joué avec dignité et même une certaine grandeur
le rôle privilégié que la vie leur avait réservé.
Jamais mort ne fut davantage annoncée.