AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de oiseaulire



Ce qui m'a semblé prégnant dans ce roman épistolaire, jusqu'à constituer sa trame, c'est la peinture, vue de l'intérieur et comme allant de soi, du fonctionnement d'une classe sociale favorisée et de sa reproduction à travers les générations.

Nous sommes dans le milieu social des bourgeois bretons (milieu où, dans la génération des aînés, les enfants vouvoyaient encore leurs parents, et où l'on a subi ou bénéficié (cela dépend de la façon dont on voit les choses) d'une éducation catholique traditionnelle, qui a eu au moins l'avantage de léguer aux descendants le goût de l'effort et du dépassement de ses limites ; où les femmes, c'est vrai, se consacraient exclusivement aux enfants, au mari et aux bonnes oeuvres, sans oublier leurs nombreux voyages et la spiritualité, en vue de dégager un maximum d'efficience à la réussite du groupe.

Une classe sociale qui, bien que manifestement très armée pour la vie et la compétition sociale, dispose d'une "exquise sensibilité" : cultivée, ouverte à tout : l'art, notamment la musique, (classique, opéra, batterie, composition), au cinéma, à la danse, à la littérature, à la navigation, aux techniques, aux sports, à la vie animale ; les enfants sont parfaits : équilibrés, en bonne santé, raisonnables, sensibles, dynamiques, bons élèves, artistes…

Surtout une classe sociale qui ne doute pas de sa légitimité : on se congratule, on prend au sérieux les projets petits ou grands dont la réalisation est suivie dans la bienveillance et les encouragement de tous ; les enfants vivent une vie idéale, choyés, guidés, conseillés, sécurisés. Ils grandissent dans une douce discipline de vie et avec l'appui des leurs : ainsi peut se développer, dans un clan aimant, la confiance en soi.

Le personnage le plus attachant est celui de Pénélope, mère de quatre enfants. Son mari, Uranus, vient de remporter un tour du monde à la voile en solitaire dont il est sorti vainqueur. Sans mettre pied à terre, il décide brutalement d'en effectuer un second, au pied levé, plantant là femme et enfants, ainsi que son frère Ariel, propriétaire du catamaran, ses associés, assureurs etc.

Depuis 25 ans, Pénélope, qui a renoncé à toute carrière personnelle malgré un potentiel non négligeable gère le quotidien, et elle le gère en superwoman : tâches ménagères (la maison «brille comme un sou neuf»), suivi de scolarité, aide aux devoirs et aux multiples activités, sans compter les multiples allers-venues en voiture pour les y mener) : un planning de ministre.
Elle s'occupe aussi de l'approvisionnement, fait la cuisine (elle confectionne aussi les repas de son mari en prévision des départs en compétition !), s'attaque en autodidacte aux gros travaux de maçonnerie avec un résultat parfait, entretient de longues relations épistolaires avec ses amis et sa famille, suit sur ordinateur la progression de son mari sur les océans et les obstacles météos qu'il rencontre, lit un peu et rédige même à l'occasion quelques compte-rendus de bouquins, souvenirs de ses études littéraires.
Ses connaissances musicales et cinématographiques sont époustouflantes. Comme son mari, elle est férue de navigation.
C'est une jolie femme qui doit s'entretenir car elle atteint 45 ans et assure une bonne part des relations publiques de son mari du fait de sa profession de compétiteur sportif.
Et puis, quand elle n'a vraiment plus rien à faire : allez ! hop ! elle va courir une heure (par jour quand même), histoire de décompresser.
Bref c'est une femme avec qui peu de gens peuvent rivaliser et qui donne envie de cacher sa honte sous une couette pour le restant de ses jours.

Comment une telle femme, qui s'est entièrement vouée au siens, va-t-elle surmonter la défection de son mari ? Plus que sa perfection ménagère, les effrois de Pénélope, ses angoisses, son trouble, la rendent attachante et rythment le roman.

Le mari, Uranus : sportif émérite, navigateur solitaire, en voie de détrôner tous les grands noms de la voile, véritable Ulysse, mais sans la ruse (ni probablement l'addiction au sexe chez ce champion de haut niveau dopé à l'adrénaline et autres dopamines).
Personne ne lui demandait son second tour du monde, sans assurance, sans aval de son équipe. S'il ne l'avait pas réalisé, nul ne s'en serait rendu compte. Il l'impose à sa femme, à ses associés qui ne sont pas ravis, c'est un euphémisme : qu'il casse le bateau, c'est la faillite ; qu'il perde la vie, et ses enfants sont orphelins.
Je n'ai aucune sympathie pour ce pourchasseur d'inaccessible étoile, près à sacrifier les siens à sa folie égoïste : on pourrait attendre d'un père de quatre enfants qu'il se comporte en adulte et fasse des choix : or il ne choisit pas entre sa passion et sa famille, laisse Poséidon décider de sa vie, de sa mort et du sort des autres.

Je ne m'étendrai pas trop sur les autres membres de la famille :

- le frère, sympathique et serviable quand tout va bien, mais qui se révèle cassant et psycho-rigide dans l'adversité, sauf envers le grand héros son frère ;

- les enfants charmants, comme il se doit, un petit bémol pour Tim, en pleine turbulence adolescente ;

- la mère de l'héroïne, monstre persiflant et culpabilisant les deux tiers du livre, inféodée à son gendre et aveugle aux souffrances de sa fille ; pourtant, se dévoile à la fin une certaine grandeur d'âme (la cohésion de la famille nécessite, pour être préservée, un peu d'indulgence : elle est la gardienne de la pérennité du clan );

- l'amie patiente de bon conseil ;

- la petite amie modèle du fils aîné, une perle sans défaut sauf une vilaine tendance à cafter : on espère que la vie la rendra plus discrète, car qui exige la perfection des autres doit l'être également ;

- Enfin Pierre, qui lui, est extérieur au groupe familial : trop beau pour être honnête. Prof de fac de lettres, plein de qualités apparentes, mais narcissique : personne ne doit lui résister, sinon ses paroles de miel se changent en fiel et il devient inélégant au possible.

Les personnages livrent leurs états d'âme sans complexe et leurs multiples aventures (ont-ils encore le temps de les vivre après toutes ces heures consacrées à leur correspondance ? On peut se le demander : mais c'est le propre de tous les romans épistolaires).

On note quelques longueurs et répétitions dans l'expression des sentiments : les hésitations des personnages, leurs revirements, leurs volte-faces, leurs angoisses me semblent naturelles, ils n'en sont que plus humains. Mais bien des redites auraient pu être évitées, ainsi que certains SMS, qui n'ajoutent rien à la compréhension de l'ensemble.

Il n'en reste pas moins que pour un premier roman, c'est remarquable. Les aventures de l'âme y côtoient celles du corps, et le scénario est convaincant. Les personnages existent, ont les voit, ils ont de l'épaisseur. A partir de la thématique des sport à haut risque pour laquelle je n'ai aucune appétence (mon goût me porte plutôt à cultiver mon jardin loin des foires et des concours agricoles), l'auteur a su me conquérir. C'est la marque de la polyvalence de son roman et du talent de l'auteure qui a ménagé plusieurs centres d'intérêt.

Commenter  J’apprécie          107



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}