Un jour, comme Malraux examinait la photographie de ma petite chatte arrachée a demi porte de faim, d'un buisson de l'île de Rhodes et d'un molosse qui ne lui voulait pas du bien, et qu'il lui découvrait une allure égyptienne ou éthiopienne, j'avais profité du plus étourdissant survol, primo des chats dans l'histoire des religions et des hommes, bataille d'Azincourt comprise, secundo des chats dans la sculpture et la peinture mondiales, tertio de la symbolique des chats dans les mentalités.
Alors, planant sur les aubes de l'Histoire, Malraux fondait sur les Changs du XVI siècle av J.C, sautait aux Sémuriens ou revenait aux Vandales.
Peuplée par son avidité intellectuelle inextinguible, sa mémoire prodigieuse lui permettait de citer, tel passage d'Homère, de Sophocle ou de saint Augustin, telle pensée de Spinoza, d'Averroès, de Paracelse, de Maimonide ou de Lao-Tseu, un poème japonais du XII siècle ou une saga islandaise.
C'était pour lui un temps de bonheur.
S'il s'était engagé en 1939, à la déclaration de guerre, sa patrie c'était la liberté, la dignité des hommes, leur pouvoir de création. C'étaient là des concepts intellectuels, non incarnés.
Pour Malraux, les hommes de Valmy et les soldats de l'an II s'étaient battus contre les tyrannies couronnées, pas pour leur ferme.
Il avait fallu, les femmes noires de Corrèze, attendant en silence, chacune sur les tombes des siens et aussi les bazookas maniés par des mains paysannes, pour qu'il sentît que ces hommes avaient d'abord combattu, non pour des idées, mais pour leur terre.