Citations sur L'amie prodigieuse, tome 4 : L'enfant perdue (373)
Lila ... avait du mal à se sentir stable. Elle n'y arrivait pas, elle n'y croyait pas. Elle avait beau nous dominer tous depuis l'enfance, elle avait neau nous avoir imposé et nous imposer encore ses manières d'être - faute de quoi nous encourions son ressentiment et sa colère -, elle se percevait elle-même comme une matière dégoulinante, et chacun de ses efforts avait simplement pour but, en fin de compte, de se contenir. Quand malgré les nombreuses stratégies qu'elle mettait en œuvre avec les gens et les choses, la coulée prévalait, alors Lila perdait Lila, le choas semblait l'unique vérité, et - alors qu'elle était pourtant si active et si courageuse - elle s'effaçait, terrorisée, et n'était plus rien.
Pour écrire, il faut désirer que quelque chose te survive. Alors que moi, je n’ai même pas envie de vivre, ce n’est jamais quelque chose que j’ai éprouvé fortement, contrairement à toi. Si je pouvais m’effacer maintenant, au moment même ou nous parlons, je serais plus que contente.
je crois n’avoir jamais autant souffert pour un homme, tout m’était supplice, l’éloigner comme le reprendre.
Petites, nous lisions ensemble des romans-photos dans le jardin public près de l'église et partagions la même envie de prêter main forte à l’héroïne lorsque celle-ci se trouvait en difficulté. A présent, elle éprouvait certainement le même sentiment de solidarité qu'autrefois, mais avec le sérieux d'aujourd'hui, et il s'agissait d'un sentiment authentique, causé par un tort qui n'était plus feint mais véritable.
J'en fus surprise et effrayée. Est-ce que c'est moi aussi, ce moi plein de fureur ? Moi ici, à Naples, dans cet appartement horrible, moi qui, si je le pouvais, tuerais cet homme, lui planterais de toutes mes forces un couteau dans le cœur ? Est-ce que je dois retenir cette ombre - celle de ma mère et de toutes nos ancêtres - ou bien la laisser se déchaîner ?
Il y a des moments où ce qui nous entoure et semble devoir servir de décor à notre vie pour l'éternité - un empire, un parti politique, une foi, un monument, mais aussi simplement des gens qui font partie de notre quotidien - s'effondre d'une façon tout à fait inattendue, alors même que mille autres soucis nous pressent.
J'avais remarqué depuis longtemps que chacun organise sa mémoire selon ce qui l'arrange, et aujourd'hui encore, je me surprends à le faire moi aussi.
Résurrection, quelle résurrection ? Ce n'était que maquillage, un peu de modernité prétentieuse plaquée ici et là, sur le visage corrompu de la ville.
Depuis la via Tasso, le quartier de mon enfance ne paraissait qu'un lointain tas de pierres blanchâtres, des détritus urbains au pied du Vésuve que rien ne distinguait. Et je voulais qu'il continue à en être ainsi : j'étais quelqu'un d'autre maintenant, et j'étais décidée à tout faire pour ne plus être aspirée par mon quartier.
C'est pendant cette période que je remarquai vraiment pour la première fois la rigidité du périmètre que Lila s'était assigné. Elle s'occupait toujours moins de ce qui se passait en dehors du quartier. Quand elle se passionnait pour une question sortant de la sphère purement locale, c'était parce que celle-ci concernait des gens qu'elle connaissait depuis l'enfance.