"Des mémoires ? Oh non ! Pour écrire des mémoires, il faut avoir, au préalable, fait des choses..." C'est par ces mots, par un excès de modestie, peut-être par un exercice de style, que
Claude Farrère ouvre le grand livre de ses "
Souvenirs".
Ce livre est foisonnant, terriblement intéressant et passionnant.
C'est un témoignage exceptionnel.
Pourtant, à mon plus grand regret, il faut le préciser avant toute discussion, il s'en dégage, parfois, des relents nauséabonds.
Le meilleur voisine avec le pire. Certains propos sont insupportables.
Je n'en parlerai pas. Non pas que je les excuse mais, vous ayant prévenu, j'ai préféré ne considérer que ce qui fait de ce livre un ouvrage précieux et indispensable.
Claude Farrère a soixante-dix sept ans.
Il est membre
De l'Académie Française, écrivain, homme de théâtre - auteur et critique.
C'est un marin, il a combattu durant la première guerre mondiale.
En attendant de sortir de la vie ainsi que d'un banquet, remerciant son hôte et faisant son paquet, il déroule, ici, ce qu'il appelle l'interminable voyage de son existence.
Non sans avoir, auparavant, défini, rapidement mais précisément, l'art d'écrire.
"Il consiste à choisir le mot propre et à n'y ajouter aucun épithète.
Selon lui, les adjectifs sont des mots dont la seule utilité est de rendre moins mauvais un substantif déjà médiocre.
Toute l'écriture se résume en cela : le verbe et le nom, rien de plus.
N'écrire jamais que pour mettre en noir sur blanc l'indispensable et couper tout le superflu.
Or, quiconque écrit doit pouvoir être lu, et compris - avis aux fanatiques de l'obscur.
César est un écrivain.
Cicéron est un bavard..."
Claude Farrère écrit son premier livre, "
les civilisés", le relit, le trouve exécrable et l'enferme dans un tiroir avant de se trouver d'autres occupations.
Il est, alors, officier canonnier dans la Marine Nationale Française.
Jusqu'en 1904, son "pacha", sur le croiseur-torpilleur "Vautour" fut
Pierre Loti.
En 1919, il démissionne de la marine afin de se consacrer totalement à l'écriture.
L'analyse, souvent fine et intelligente, de ses
souvenirs littéraires et maritimes entremêlés, donne à cet ouvrage un poids et une valeur exceptionnels.
Ce livre est foisonnant.
On y rencontre, lors d'anecdotes piquantes ou de voyages lointains, de nombreux personnages prestigieux tels que Colette, Clémenceau, Poincaré, le tsar Nicolas II, Pierre Louÿs, Mussolini,
Rudyard Kipling, Mussolini,
Pierre Frondaie, Lyautey, le commandant Charcot,
Paul Doumer qu'il ne réussit pas à sauver en s'interposant durant un tragique attentat politique perpétré par un médecin russe réfugié en France, et bien d'autres encore...
Claude Farrère rend hommage à
Jean de la Varende, à
Margaret Mitchell, à
Charles Morgan.
Il parle de la participation de
Corneille dans l'oeuvre de
Molière.
Il raconte son espérance d'être élu à
L Académie Française, sa déception de ne pas l'être à deux reprises et son désir de rencontrer, à l'occasion des visites de sollicitation aux immortels, les plus grands noms de la coupole.
Cet ouvrage, formidablement bien écrit et intelligent, pourtant parfois gâché par un esprit par trop réactionnaire, émet des avis très tranchés sur la politique, l'opium et l'alcool, sur certains auteurs du temps, sur le colonialisme et, enfin, sur la littérature et le théâtre.
Ce livre, puissant et cultivé, ne peut laisser indifférent.