Cedar Hawk Songmaker est une jeune femme d'origine indienne adoptée tout bébé par des parents blancs aux Etats-Unis. Bien. Jusqu'ici, ça va : questions identitaires aux USA, appropriation par des Blancs triomphants d'une vie moins estimée car donnée par une femme, de minorité ethnique persécutée. Je l'ai. On peut broder : les Songmaker sont des gens bien, un peu babacool, plutôt éveillés, tolérants et n'ayant pas commis de grands dommages dans l'éducation qu'ils ont donné à leur fille.
A l'heure où Cedar trace les premières lignes de ce qui sera
L'enfant de la prochaine aurore, elle est enceinte. C'est d'ailleurs à son bébé qu'elle s'adresse. Et elle va chercher à se rapprocher de ses parents génétiques, dans une confusion que le lecteur peut attribuer aux hormones de grossesse, à son tempérament, à son éducation de petite fille gâtée ou à la fin du monde.
Deuxième motif à ce roman : la fin du monde donc. Dans une régression vertigineuse de l'évolution. Une sorte de retour en arrière de tout Darwin façon roman d'anticipation flippant. Plutôt que de continuer à sélectionner des dispositions toujours plus adaptées aux conditions extérieures, il semble en effet que les processus à l'oeuvre dans la fécondation et les choix génétiques produisent, dans toutes les espèces vivantes, humains compris, des sortes d'aberrations monstrueuses aussi effrayantes que peu viables.
Comment on est passé à une dictature religieuse, un couvre-feu, des coupures d'électricité, la fin de l'ère numérique et une surveillance digne de l'imagination d'Orwell ? Je ne sais pas trop, j'ai pas tout suivi. J'en suis même venue à croire que
Louise Erdrich laissait au lecteur le soin, grâce à ses références à d'autres dystopies, de remplir les lacunes de son dispositif. Après tout, pourquoi pas, la lecture, c'est une affaire de collaboration.
Tout de même, j'aurais bien aimé savoir où nous entraîne cette histoire. Les femmes enceintes sont recherchées, fichées. D'abord pour les répertorier. Peut-être pour les assassiner. Ou en faire des femmes pondeuses. On ne sait jamais trop. La faute aux hormones, à cette focalisation interne à Cedar qui n'est pas toujours la meilleure informatrice ou à une absence de choix narratologique ? Quoi qu'il en soit, c'est flou mais il faut se planquer. Allons-y donc pour du survivalisme façon « j'attends un heureux événement ». On planque des clopes et de l'alcool dans les murs, on se plaint d'hémorroïdes et on gagatise sur l'enfant à naître que l'on sent grandir, penser, réagir à ce qui nous arrive. Enfant prévu pour le 25 décembre. Manquait plus que ça…
Et le père ? Immaculée conception ? Presque puisque Cedar est catholique et férue de théologie. Mais non, il y a bien un père. Décrit comme un ange brun. Ambivalent comme pas deux. Hormones, Cedar, narration ?
Bon. Ca commence à être juste pénible cette lecture. Surtout que, forcément, les mois passant, le totalitarisme religieux s'amplifiant à mesure que le ventre de notre Cedar s'arrondit, on a droit aux dénonciations gratuites, aux rapts pour atterrir dans des hôpitaux carcéraux, aux fuites plus rocambolesques les unes que les autres (le coup de la longue corde tressée avec des filaments de couvertures et accrochée à un lit, si, si !). Avec une bonne amie elle aussi héroïque et gravide. Qui mourra dans d'atroces souffrances (désolée, c'est à peine un spoil, y en a tellement que vous ne pouvez même pas savoir à laquelle je fais allusion). Des grottes, des planques sous des bâches dans un camion. de nouvelles incarcérations qui arrivent de nulle part. Punaise, neuf mois, que c'est long !
En fait, y a pas un truc qui tient droit dans ce roman : la situation dystopique est bancale tant dans ses fondements que dans les conséquences sociales, politiques et émotionnelles qui sont censées en découler, on ne se fait jamais une idée exacte des personnages et de ce qu'ils portent comme idéaux, puissances à agir ou variation sur le thème. La question des origines indiennes a été dissoute dans le catastrophisme ambiant. Celle des relations parents / enfants ne survit pas non plus. La réflexion politique sur la fragilité de nos organisations n'a même pas commencé et celle du rapport entre foi, religion et fanatisme est morte née. Oups.
C'est le premier roman de
Louise Erdrich qui me déçoive et j'en suis toute marrie d'autant que je me faisais une joie de m'abandonner à sa plume. Tant pis.