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Critique de Aquilon62


Alexandre Duyck aurait pu faire sienne cette phrase de Philippe Claudel :
«Ce qui me plaît dans la montagne comme dans l'écriture, c'est de me trouver confronté à quelque chose qui me dépasse, de façon humaine, et d'essayer d'y trouver ma voie, que ce soit sur une paroi ou dans un roman.»

Je ne sais si Alexandre Duyck est féru de montagne, mais il s'est effectivement confronté à quelque chose qui le dépasse et nous depasse tous. Et il a réussi à y trouver sa voie, il a réussir à bâtir un magnifique roman,
Il s'est emparé de ce que l'on peut appeler communément "fait divers", ces deux mots qui adossés l'un à l'autre qui globalement ne signifient rien d'autre que ce qu'ils veulent dire.
Comme disait Camus : "mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde"...
Mais derrière derrière ces deux mots, il y a généralement une tragédie avec ce qu'elle comporte : unité de temps, de lieu et d'action.

Ils s'appelaient Marcelin Dumoulin, 40 ans, et Francine Dumoulin, 37 ans.
Lui était cordonnier ;
Elle, institutrice.
Ils vivaient dans le Valais en Suisse.
Partis nourrir leur bétail le 15 août 1942, ils ne sont jamais revenus. Ils avaient cinq fils et deux filles.
Soixante quinze ans plus tard, ce que la nature prend, la nature finira par le rendre, et c'est bien ce qu'il s'est passé en 2017. le glacier a rendu, ou plutôt redonné, les corps de ce couple, comme enlacés pour l'éternité.
Voilà pour la réalité, pour le roman Marcelin est devenu Joseph, Francine est devenue Louise, mais qu'importe

Joseph aime sa montagne, il connaît sa montagne, il s'isole dans sa montagne, il respecte sa montagne..
" Ancrée dans sa mémoire rétinienne, dans son crâne, son cerveau, il prend cette précaution au cas où cette ascension serait la dernière. Il n'emmène jamais son appareil photo en montagne, bien trop lourd, trop fragile, le froid, la pluie, tout se joue dans sa tête. Puis, quand la contemplation s'achève, il parle, il se parle, comme les fous, les alcooliques, il n'est ni l'un ni l'autre mais ici, il déraille, s'en arroge le droit, s'accorde ce privilège des sains d'esprit qui savent qu'ils ne sont pas fous quand ils se parlent à eux-mêmes."

Jusqu'à ce jour où pour ses treize années de mariage, Louise a choisi son cadeau : monter avec lui, comme pour partager sa montagne...
" C'est le 15 août 1942, le jour de la fête de Marie. Ailleurs, de l'autre côté des quatre frontières, la française, l'italienne, l'allemande et l'autrichienne qui ne font plus qu'une, partout ailleurs, la guerre, encore la guerre. Ici, en Suisse, au pied du glacier des Diablerets, pas de combat, pas de bombe, la mort ne demeure qu'accidentelle, une coulée de neige, un rocher qui se détache soudain, le feu l'été ; ou la mort naturelle ; ou un mari jaloux, une querelle de voisinage, un infanticide de-ci de-là, éventuellement une empoisonneuse mais on vit à l'écart du conflit bientôt planétaire, on vit loin et hors du monde. le pas de côté constitue par ici une tradition, comme un art de vivre. "

Mais comme le disait, si justement, l'alpiniste Reinhold Messner : "La montagne n'est ni juste, ni injuste. Elle est dangereuse"
Et Alexandre Duyck de confirmer ce qui pourrait être un adage :
" En Suisse comme à Chamonix, dans les Dolomites comme au fond du Tyrol autrichien, la montagne a vite fait de combler les espaces encore vides des cimetières. Par ici, chaque famille possède ses morts, pas moins glorieux que ceux du champ de bataille. Des enfants glissent, des hommes se perdent, des imprudents se penchent trop près du vide, une avalanche déboule. Des inconscients partent trop tard, des corps tombent, se blessent, appellent au secours avant de s'endormir. "

Le réussite d'une ascension quelle qu'elle soit, tous les alpinistes vous le diront, c'est le rythme, la constance du rythme, le rythme des pas, le rythme des pas, et l'économie de la parole, parler à bon escient, le reste n'est que ressenti, introspection, admiration,...

Et bien l'écriture d'Alexandre Duyck, c'est tout cela à la fois.
Je l'ai découvert, à la lecture de son livre, "Un effondrement", un livre d'une écriture juste et puissante, un livre d'une justesse et d'une pudeur, sur un sujet ou l'on peut lire tout et n'importe quoi : le burn-out. Il réitère le même exploit, s'emparer d'un sujet et le traiter avec son style.
Il possède ce que peu d'écrivains, possèdent à l'heure actuelle, cette faculté de vous faire ressentir que chaque mot, chaque signe de ponctuation, chaque dialogue, est là tout simplement à sa place.
À l'image de l'alpiniste, Alexandre Duyck fait la trace, nous guide, nous le suivons, le rythme est juste, la progression est précise, le tempo est le bon, aucune fioriture, aucun artifice, juste l'essentiel : ressenti, émotion, affection, émoi, angoisse, et enfin expiation....

Et il y a cette couverture toute un condensé de la montagne, qui fait penser à ces mots de Gaston Rébuffat : " Les montagnes ne vivent que de l'amour des hommes. Là où les habitations, puis les arbres, puis l'herbe s'épuisent, naît le royaume stérile, sauvage, minéral ; cependant, dans sa pauvreté extrême, dans sa nudité totale, il dispense une richesse qui n'a pas de prix : le bonheur que l'on découvre dans les yeux de ceux qui le fréquentent. "
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