Histoire d'une prostituée

J’ai peur. Je ne sais pas ce pas ce qu’elle va devenir. Je pense qu’elle ne tiendra jamais le coup, et qu’elle retournera sur le trottoir. Je pense que c’est fichu, plié, râpé, terminé, nada, rideau, mort. Structures sociales débordées, loi injuste, protection nulle, pouvoirs publics de merde. Sur le trottoir tu resteras. 175

La demande sexuelle de ces hommes est aussi vieille que la fonction de prostituée. Certains attribuent même à la prostitution une utilité sociale. Cette demande des hommes s’énoncerait au profit du contexte conjugal : si je viens te baiser en quelques minutes, c’est pour préserver mon mariage. La rancœur enfle pas. Notre routine sexuelle n’est plus à mettre en cause. Tu sers à mon bonheur, toi et ton piétinement de macadam. Tu protèges mon épouse de disputes, de scènes, de l’image de coincée que je pourrais lui renvoyer. C’est grâce à toi que vit l’institution du mariage !
Plus tard, ma femme et moi nous poserons la question de savoir si nous nous aimons toujours, mais pour l’instant, toi, prostituée, tu es la garante de cette union, tu nous équilibres, je te paye pour que mon couple n’implose pas. Ces paroles, les prostituées les entendent depuis des nuits et des nuits, depuis des siècles de nuits. 38/39

A 21 ans, Iliana a déjà connu deux avortements. [...]
Quelques jours auparavant, elle a fait un test de grossesse. Positif. Fidèle à sa psychologie particulière, elle surinvestit l'évènement. Elle y voit deux choses: la certitude qu'Adrian restera avec elle, puisqu'elle porte leur enfant. Et le début d'une autre histoire, à la saveur d'un berlingot rose et sucré. Pas une seconde, l'idée ne lui traverse l'esprit que le père puisse être un client. Ce serait encore tisser un lien entre l'espoir d'un monde meilleur et celui de la prostitution forcée. Le bitume colle à sa vie, retient chacun de ses pas, elle ne veut surtout pas l'associer à la promesse merveilleuse d'un enfant.