M. aurait dû venir, me prendre par la main, faire une longue promenade avec moi, comme il l'avait fait quatre jours auparavant. Me parler, essayer de me pousser dans le ruisseau, m'embrasser contre un arbre à m'en tatouer I'écorce dans le dos.
M. m'avait appris à prendre ma place, à prendre forme. Avant lui j'étais une matière molle, presque liquide, qui s'ajustait aux nécessités de l'autre. En m'interrogeant continuellement sur mes besoins, il m'avait appris à m'y intéresser, à les autoriser. À m'autoriser. Il me laissait de l'espace sans laisser de vide. Je me suis solidifiée à son contact, un noyau s'est formé au centre de la matière molle. J'ai pensé qu'il faudrait établir la liste des mercis, ne rien oublier quand je lui lâcherais la main.
Je me rappelle les hurlements d'Audrey, quand elle restait quelques mois avec un homme et qu'il se mettait à lui parler d'enfant. Ça la rendait folle, elle cessait de l'aimer dans la seconde, elle avait I'impression d'être prise pour une machine à pain.
Nos huit heures s'évaporaient si vite que ça me mettait en colère. Comment une journée de cours pouvait-elle être si longue, une journée d'amour si courte ? Pourquoi n'avait-on aucun contrôle sur le temps ?
On ne finit jamais de connaître l'autre.
"Je ne veux pas qu'il s'en aille. Je ne eux pas qu'on me le prenne."
En regardant le ciel rosir, j'ai cru entendre la montagne crier. Comme si elle libérait toute la souffrance dont elle avait été témoin depuis des millions d'années.
J'aime l'ennui. J'aime le vertige des journées interminables.
Le présent ne me va pas, je retourne à mes souvenirs.
L'enchevêtrement serré des cimes me paraissait surnaturel, comme si une force obscure absorbait les rayons de la lune, enfantait les ténèbres propices à la sauvagerie, au meurtre.