Voilà fort fort longtemps, en tout début d'adolescence, je découvrais enfin le plaisir de lire (jusque là, la lecture n'était, pour moi, que contraintes) à travers les aventures de
Sherlock Holmes de
Conan Doyle.
Ce sont ces premiers émois littéraires qui forgèrent mon goût définitif pour le polar et pour les personnages de détectives.
Depuis, sans être un Holmesologue fanatique, j'ai régulièrement cherché des pastiches et autres parodies du célèbre détective anglais, pour le meilleur et pour le pire.
Mais, ces dernières années, me concentrant sur le roman policier de langue française, j'avais un peu abandonné ma quête bien que l'un des meilleurs auteurs de récits non canoniques soit indéniablement bien de chez nous puisqu'il s'agit du regretté
René Réouven, mort juste avant le premier confinement dans l'indifférence totale, mais à un âge de 95 ans très respectable.
Pourtant, d'un coup m'est revenue l'envie de me plonger dans de nouvelles aventures de
Sherlock Holmes, même si celles-ci n'étaient pas issues de la plume du père du personnage.
La sortie récente de «
Sherlock Holmes et le mystère des reliques de
Saint-Martin de Tours » de
Jean-Noël Delétang était l'occasion toute trouvée.
Jean-Noël Delétang est un ancien prof de l'Histoire et de l'Histoire des Arts qui vit depuis plus de 20 ans à Tours et qui, depuis sa retraite, écrit des romans policiers…
Sherlock Holmes débarque à Tours en compagnie de son ami Watson qui vient régler une question d'héritage et visiter, du même coup, sa cousine, elle aussi concernée par ledit héritage. Mais très vite, la mort d'un sacristain sur un chantier, écrasé par une pierre tombée d'un échafaudage, laisse à penser au détective qu'il n'y a pas là accident, mais crime.
Autant vous dire tout de suite que ce court roman qui se veut un hommage à
Sherlock Holmes et à son auteur et qui annonce, clairement, en préface « Ceci n'est pas une oeuvre de
Sir Arthur Conan Doyle, mais un pastiche. C'est-à-dire une volonté délibérée et assumée de raconter – à la manière de… – une aventure du célèbre détective
Sherlock Holmes dans un cadre inattendu. » est très loin de remplir ses objectifs.
Pis, il est, à mon sens, une offense à l'esprit holmésien et, plus grave encore, à la volonté de l'auteur et à son expérience en Histoire.
Commençons déjà par la 4e de couverture qui, en plus de déflorer l'intrigue (qui n'est déjà pas extraordinaire et qui pouvait être la seule chose intéressante du livre), offre un superbe anachronisme, ce qui, pour un professeur d'Histoire, est un comble.
Effectivement, pour substituer « la P.J. à Scotland Yard », encore aurait-il fallu que la « P.J. » existât en 1902. Or, le terme n'a été créé, si je ne me trompe pas, qu'en 1907.
Mais là n'est qu'un détail par rapport au reste.
Commençons par le début…
Le docteur Watson, dès les premières lignes, débarque au 221B Baker Street et dit : « C'est moi, Charles ! ».
Charles !
Charles Watson ??? Depuis quand le docteur Watson se prénomme Charles ? John, oui, tout le monde le sait. James, à la rigueur, car il me semble que
Conan Doyle s'est emmêlé une fois les pinceaux sur le prénom. Mais Charles ?
D'autant que ce Charles n'est pas une erreur tant il est répété tout du long et notamment et surtout par
Sherlock Holmes lui-même.
Sherlock Holmes appelant son ami par son prénom (même si celui-ci eut été le bon) ??? Depuis quand ? Holmes appelle le docteur Watson, « Watson ». C'est tout.
Mais là, en fait, n'est pas la première erreur. La première erreur du roman réside dans la narration à la 3e personne. Il me semble, d'après mes souvenirs, que les récits de
Sherlock Holmes étaient contés à la première personne, par Watson lui-même, non par un narrateur omniscient.
Mais, passons.
Watson précise donc à son ami qu'il doit se rendre en France où il a de la famille, pour une question d'héritage.
Waston a de la famille en France ? Première nouvelle. Sherlock, oui, puisqu'il est le petit-fils de la soeur du peintre français Horace Vernet.
Continuons. Watson demande à son ami de l'accompagner, donc, précisant que sa femme Mary ne peut pas l'accompagner. Sherlock accepte, précisant qu'il n'a plus rien à se mettre sous la dent depuis l'affaire de Baskerville.
En situant son histoire en 1902, l'auteur la situe dans l'ordre de publication du Canon, entre « le dernier problème » aventure dans laquelle
Sherlock Holmes meurt dans les chutes de Reichenbach et «
La maison vide », celle dans laquelle
Sherlock Holmes fait son retour.
Mais ce qu'oublie J.N. Delétang, c'est que «
La maison vide » bien que parue en 1903, propose une histoire se déroulant en 1894 (le 30 mars, pour être précis).
De l'aveu même de
Conan Doyle, d'ailleurs, «
le chien des Baskerville » est une histoire hors chronologie. Mais peu importe, puisque J.N.D. lui, se sert de cette chronologie.
Or, dans «
La maison vide », en 1894, donc, John Watson est veuf, sa femme Mary est décédée sans que
Conan Doyle explique de quelle façon.
Du coup, pensez bien qu'en 1902,
Mary Watson est encore plus morte qu'en 1894… anachronisme quand tu nous tiens.
Mais là encore, nous ne sommes que dans des détails que n'intéressent que les holmésiens. Mais, quand on veut pasticher un
Sherlock Holmes, quand on prétend le faire à la manière de
Conan Doyle, le minimum, c'est tout de même de conserver un certain respect de l'oeuvre originale.
Et, pourtant, ce qui suit va encore plus heurter le Canon que ce qui précède.
Car, dans un
Sherlock Holmes, ce qui compte, c'est le personnage de
Sherlock Holmes. Et les auteurs de la série « Sherlock » l'ont bien compris, car, même en plaçant le détective dans un monde moderne, donc, anachronique, ils respectent le personnage en lui conservant son caractère. Ce que ne fait pas J.N.D.
Effectivement, l'auteur nous propose un personnage charmant, rieur, qui s'intéresse à tout, jamais hautain ou dédaigneux, appréciant la bonne chère, se souciant des autres…
Mais qui est cet imposteur ? (je parle du Sherlock du roman, pas de son auteur… quoi que).
Alors, anachronisme à tout va, irrespect du personnage, que reste-t-il à ce roman ?
Une plume ? Point ! Style plat, narration ratée.
Une intrigue ? Que nenni ! aucun suspens, en partie, d'ailleurs, dévoilée dans la 4e, et ce, d'autant que l'intrigue n'est que prétexte.
Prétexte à quoi ? À un voyage dans l'Histoire de Tours de 1902, dans l'Histoire de ses Arts et, surtout, de sa gastronomie.
Car le roman accumule les scènes de repas, s'attardant sur les différentes recettes de la région, ses vins, au grand plaisir d'un Watson (acceptable) et d'un
Sherlock Holmes (inacceptable). Et quand je dis accumule, le lecteur a le droit à chaque repas de la journée, déjeuner, dîner, goûter, souper, de chaque jour de la semaine passée à Tours. L'auteur nous fait l'éloge de la gastronomie tourangelle et de ses vins ad nauseam.
Et quand il délaisse les plaisirs de la table, c'est pour nous abreuver d'informations sur les édifices de la ville, son architecture, ses peintres, poètes et compagnie.
Lassant ! Usant ! D'autant que pendant plus de la moitié du roman on attend que l'enquête démarre enfin, espérant être sauvé par un suspens et une résolution à la sauce holmésienne.
Mais le sauveur n'arrive pas. L'intrigue est simpliste et Holmes la résout avec l'habileté d'un homme-tronc trapéziste.
En clair, ce roman est non seulement insipide, mais, une injure au Canon Holmésien ! la pire façon de renouer avec les pastiches.
Au final, quand on veut faire un pastiche de
Sherlock Holmes, le minimum est de respecter la matière originale.