Je retrouve
Jean-Baptiste del Amo, l'auteur de
Règne animal, un roman marquant par sa puissance, respirant la frange rurale profonde, d'une langue rare, celle littéraire française qui se perd dans une fainéantise communautariste où certains revendiquent le génie par complaisance et surtout par aveuglement sociétal, la pauvreté littéraire française est le fruit de ces critiques consanguines sans grands intérêts, des prix édulcorés et la nostalgie d'un passé flamboyant,
Jean-Baptiste del Amo avec
le fils de l'homme a obtenu le prix Fnac 2021, l'année où je ne fais plus partie du jury, j'aurais aimé contribuer à cette récompense, saluer cet auteur par son audace littéraire et le sujet difficile de la filiation humaine et de son héritage, la violence. Je suis encore perplexe par ce roman psychologique oppressant, épurant à l'extrême l'humanité de nos personnages, distillant un paysage sauvage, rude, même les animaux sont éborgnés par la vie.
Le fils de l'homme, ce titre est de tout temps une figure religieuse, une représentation abordée par le christianisme et le judaïsme, représentant pour l'un, l'humanité de Jésus, pour l'autre, une allégorie eschatologique communément illustré dans les milieux apocalyptiques judaïques dès la période post-exilique, soulignant la souffrance et la précarité de la condition humaine,
Jean-Baptiste del Amo par ce titre comme dans son roman précédent,
Règne animal aborde la souffrance humaine et sa violence, une hérédité immuable au fil du temps. Jean-Baptiste entame son roman par l'épopée d'une tribu nomade, se mouvant au fil de la saison en quête de nourriture, ce court préambule laisse le narrateur incertain par ce récit intemporel, la chasse est le coeur mouvant de ces hommes et femmes sous leurs habits de fourrures, l'auteur évoque l'initiation du fils, marqué du sang de l'animal pour son baptême de chasseur. Ces premiers mots s'incrustent dans notre chair comme ceux de
Règne animal, la prose crue, sans fioritures, comme ce paragraphe sur l'accouplement de ces êtres, une violence animale, un acte de procréation sans plaisir.
L'écriture est une force tranquille, elle transporte l'esprit,
Jean-Baptiste del Amo maitrise cet art des mots, diffusant son thème de prédiction, celui de l'homme-animal, cette violence humaine qui nous habite, cette crasse incrustée au plus profond de nos pores sont le miroir lointain d'une étoile qui brille au coeur de la nuit, celle de nos aïeux, ce miroir génétique traverse les générations pour prendre possession de nos âmes, nous devenons le reflet de nos ancêtres à travers cette violence naturelle qui nous habite au plus loin de notre être, l'être humain est cet animal qui tente de se domestiquer.
La nature semble être un personnage dans cette intrigue de ce huis-clos au coeur de ce paysage montagneux, perdu sur un versant hostile rocailleux où gît une bâtisse en semi-ruine, un vestige familiale, berceau de la chute des pères, pour y accéder, il faut s'y rendre à pied, suivre les sentiers enherbés et un paysage sauvage,
Jean-Baptiste del Amo laisse cette nature se dessiner sous ses mots, nous pouvons la sentir, ressentir sa force et sa faiblesse, comme ces chardons brunis par l'hiver, des orties bordant des raidillons, des pieds de bourrache et de consoude parsème les prairies, des pervenches en boutons tapissent les sous-bois, des primevères s'y invitent, la
mousse orne certains arbres, le lierre en feuille attaque ces arbres dans sa hauteur majestueuse, l'eau d'une source est la meilleure du monde selon le père, ce paysage est sauvage sous un regard aveugle, l'enfant entrevoit sa beauté au fil du roman, il entre en osmose avec celle-ci à travers la
mousse, cet échange frisonne l'enfant, cette transmission de vie avec la végétation est rayonnant, faisant écho au roman
Mousse de
Klaus Modick, livrant un testament de notre relation intime à la nature, comme la somnolence de l'enfant dans les bras d'une souche d'arbre. Tout le roman s'articule autour de ce paysage à la description minutieuse, hosti
le selon la saison, la forêt se pare de ces habits de printemps, les bourgeons, les fleurs, les insectes et le pollen dansent dans l'atmosphère harmonieuse sous le doux regard du jeune fils, épris de liberté, errant dans ce paysage à la découverte de la faune et de la flore, échappant à l'emprise du père et à l'inertie de l'instant, cette liberté de découvrir la cartographie de ces errances pour les mémoriser, ces explorations l'emportent dans des vestiges que la nature dévore comme cette bergerie en ruine et l'entrée d'une mine d'extraction, sans oublier sa rencontre avec ses chevaux sauvages, la jument allaitant un poulain, un étalon borgne, chef du troupeau, qu'il va au fil du temps apprivoiser pour soigner son handicap. le soir est un spectacle, la voute céleste s'ouvre dans une obscurité parfaite le fils regarde ce spectacle dans cette éternité de vie qui l'emporte dans ces multiples vies qui l'ont précédées, il traverse les siècles et se trouve submergé dans la spirale du monde,
Jean-Baptiste del Amo laisse le fils être le témoin du temps et de l'espace, ce vecteur de ce monde en mouvement, il sent la présence de la terre sous lui, « des vies qui s'y consument », il garde de ces instants « le souvenir d'une épiphanie », juste la caresse d'un rêve pour disparaitre ensuite comme s'il avait « le sentiment de quelque chose qui lui aurait été donné puis aussitôt repris. » le fils s'accommode de la nature, il la découvre, il la vit au plus profond de son être, la nature vient à lui naturellement, même si elle est sauvage, elle l'accueille dans ses bras comme un de ces enfants, comme l'a été son père, son grand-père et tous ses aïeux qui coulent dans le flot de son sang. Son grand-père paternel est resté dans cette nature pour y mourir, y pourrir, nourrir les charognards, laissant sa haine le consumer de l'intérieur, l'exaltant dans le saccage d'un carré de bouleaux perdus dans le dévers de la forêt, d'une hache tenue par le seul bras valide, la nuit venue, il va dans la nature, lacérer à coups de haches ces arbres blancs et lumineux comme la rage qui l'anime, celle qui le dévore de l'intérieur, ce grand-père veuf, estropié, gangréné de violence, massacrant ces bouleaux, laissant ces arbres dans la tristesse de leurs stigmates, pleurant des larmes de sèves, ce lieu devient le tombeau du grand-père, enterrant sa vie d'homme responsable pour la bête qui va l'habiter jusqu'à sa mort.
Les Roches, ce lieu maudit, où le décor du livre s'articule autour, le grand-père a élevé le père dans ce paysage sauvage, assez rebelle, le père vient poursuivre la folie éducatrice meurtrière du fils en embarquant la mère enceinte d'un autre que lui, l'intrigue est ce huis-clos oppressant de ces trois êtres, un couple désuni et leur progéniture, le fils sans prénom, ils sont les attributs, anonymes, ce trio plonge vers l'antre de la Roche dans la pénombre où l'enfant laisse son imagination vagabonder,
Jean-Baptiste del Amo distille la violence sourde qui sommeille dans le père depuis sa jeune enfance, cette violence se matérialise dans ce lieu les Roches, vestige du père, le grand-père de l'enfant, muet derrière ces neuf ans, se laissant prendre par la force de la montagne et de sa végétation, par l'héritage du lieu que son père lui narre, ce père raconte la géologie, la tectonique des plaques, ces mouvements façonnant le décor du paysage où la montagne vient pour disparaitre et laisser la place à une autre, la montagne est souvent nommée tout le long du roman, elle est une force, une « masse inconcevable », son odeur imprègne l'enfant qu'il apprend à reconnaitre, elle est « une immense créature assoupie, sur le dos de laquelle l'enfant cheminerait », la montagne est vivante avec ces milliers d'yeux qui regardent le fils, sa voix gronde dans le coeur de la forêt et celle de l'enfant, qui est accepté par cette montagne, le fils semble désormais faire partie intégrante de la montagne, pour y suivre sa destinée, devenir un chasseur pour survivre.
La chasse pour
Jean-Baptiste del Amo, dans
le fils de l'homme a une part de survie, comme une nécessité, pour se nourrir, c'est un rituel ancestral, un vecteur de l'amitié et un passage important pour la transmission, surtout un rituel pour devenir adulte, le fils va sans la savoir y être initié, par déjà les deux photos trouvées dans les affaires de sa mère, l'un d'elle représente ces jeunes parents, amoureux dans l'insouciance de leur jeunesse, l'autre des hommes posant devant un trophée animalier lors d'une partie de chasse, son père s'y retrouve avec l'oncle Tony, son ami, qui viendra aider la mère lorsque le père sera en fuite, parti du nid conjugale, laissant le fils seul sans explication, pour revenir quelques années plus tard, pour distiller sa haine, sa colère, sa jalousie, sa violence sur cette mère et son fils va entrainer le fils vers sa destinée héréditaire, libérer cette violence, cette « ancienne rage, familière et depuis trop longtemps contenue. » Il y a ce préambule sur la chasse, puis l'initiation à l'arme à feu, avec le révolver du grand-père, les anecdotes sur cette arme, que va raconter au fils, le père et la découverte de la fresque sur la chasse, qui parait être la boucle entre cette tribu qui chasse et le fils qui devient chasseur pour survivre, une chasse pour ne pas se nourrir, nécessité pour survivre, une chasse à l'homme,
Jean-Baptiste del Amo nous emporte dans un final haletant, une poursuite héroïque, j'ai presque la sensation de regarder un film de
Sergio Léone, avec une musique d'Ennio Morricone !
Je ne vais pas m'éterniser sur l'aspect psychologique du roman et cette oppression que le père fait subir au fils et à la mère, cette femme fragile, aimante, fébrile comme un oiseau tombe de son nid, prise par des migraines la coupant des jours durant du monde, il y a dans cette femme-enfant, une forme de bipolarité qui s'en dégage, elle a un amour sans bornes pour son fils et pour sa futur fille qui survit dans son ventre, cette soeur que va protéger le fils au péril de sa vie d'enfant pour franchir la pas vers le monde des adultes. le père est dans ce roman, un homme perdu par sa filiation paternel, orphelin de sa mère, son père sombre dans la folie du chagrin et de la colère , pour ensuite perdre son bras au travail de sape de la scierie, l'enfance du père se déroule aux Roches , dans l'isolement complet de la société, son père est devenu l'ombre de lui-même, le passage de l'employé administratif est glaçant par sa révolte, celui du renardeau est cruel, puis enfin lors du départ du père à l'âge de quinze est émouvant.
Il me manque un passage dans ce roman, que l'auteur laisse en suspens, comme si la violence était ailleurs, comme si la pudeur de cet acte naturel de l‘accouchement devait être intime à la mère, pourtant
Jean-Baptiste del Amo sait dans sa prose décrire l'insondable, dans une écriture froide, sans édulcorer la scène, comme dans
Règne animal. Ce roman est multiple, il a des horizons de lecture polyphonique, celui de la nature est celle que j'ai aimé avoir et vous quel a été le vôtre !