Citations sur La Poussière du temps, tome 1 : Rue de la glacière (15)
La vie n'est qu'un fil éphémère.
Chacun la tisse à sa manière
A la mesure de son talent
Depuis la nuit des temps.
Yves Duteil
Paul se retrouva assis derrière le premier pupitre d'une rangée, face à un grand tableau noir et à faible distance de l'estrade sur laquelle était installé le bureau de l'institutrice. Bien qu'un peu dépaysé par ce grand local peint en deux teintes de vert, il fut heureux de prendre possession, ce matin-là, de ses premiers livres de classe. Pour lui, une grande aventure venait de commencer.
Même si le coût de la nourriture ne cessait d'augmenter, il refusait obstinément de lui allouer un dollar de plus par semaine pour l'épicerie. Il encaissait pourtant sans aucune gêne l'argent des allocations familiales chaque mois. A ses yeux, sa femme étant toujours parvenue à s'arranger avec la somme qu'il lui donnait, il ne voyait pas pourquoi elle ne pourrait pas continuer indéfiniment à réaliser les mêmes miracles d'ingéniosité. Qu'elle consacre l'argent gagné à coudre pour les voisines à boucler son budget ne le dérangeait pas. Il ne voulait même pas le savoir.
Après quelques minutes passées à échanger des nouvelles sur leur santé respective et sur les membres de la famille Dionne, Berthe empoigna son accordéon pour le plus grand plaisir des enfants et elle se mit à jouer des airs entraînants Peu à peu, des voisins s'installèrent à leurs fenêtres ou sur leur balcon pour profiter de l'aubaine.
Le large sourire de bonheur qui illuminait son visage disait assez qu'elle venait de recevoir ce qu'elle attendait déjà depuis trois semaines : une lettre de Maurice Dionne.
Pour Maurice, se retrouver sans automobile représentait une sorte de déchéance. À ses yeux, il venait de glisser au bas de l'échelle sociale. En perdant son Chevrolet, il était revenu à la case départ. Il appartiendrait dorénavant à la même classe que ceux qui devaient attendre le tramway pour aller et revenir du travail.
Après quelques minutes de recherches, les Dionne découvrirent l'endroit où Gustave Sauvé stationnait ce qu'il appelait sa «voiture à patates frites », une sorte de camionnette vitrée transformée en casse-croûte roulant spécialisé dans la cuisson de frites et de hot dogs. De petites ampoules multicolores en ornaient la façade. Gustave avait stationné sa voiture dans la cour arrière d'une maison à deux étages assez délabrée. Comme cette cour non clôturée longeait une petite rue assez fréquentée, la clientèle avait directement accès à ce restaurant sur roues.
Mais comment Luc était-il parvenu à attirer l'attention de l'une des filles de Jeanne-Mance Marier ? Comment s'y était-il pris pour être accepté par les parents ? C'était là un mystère que Jeanne et Maurice auraient bien aimé élucider.
Puis, laisse-toi pas manger la laine sur le dos par ton Maurice. Fais-toi respecter, sainte bénite ! Ton mari, c'est un bon diable, mais il est ben nerveux et il est égoïste comme la plupart des hommes.
— Inquiétez-vous pas pour moi, m'man.
Lorsque le couple proposa à Adrien et à sa femme d'être le parrain et la marraine de celui qu'on voulait prénommer Paul, tous les deux acceptèrent avec joie.
Le samedi suivant, Marie et sa fille organisèrent un petit goûter pour la réception d'après le baptême. Pour Jeanne, c'était le premier jour où elle avait la permission de se lever. Elle se sentait déjà assez forte pour reprendre la direction de son foyer