Vazco

C’était l’homme de ma vie, bien que tout ne fut pas toujours rose entre nous. J’ai tenu à garder son nom de famille et la maison de campagne dans laquelle nous nous rendions souvent ensemble. Depuis, j’ai beaucoup de mal à m’engager durablement. Peut-être que ma joie de vivre ne passe pas par là. Les relations affectives qu’il faut pour bâtir et pour entretenir une relation solide, je n’ai probablement pas ça en moi. Peut-être que je m’y prends mal.

Vaincre la guerre » peut être interprété comme quelqu’un cherchant avant tout à faire la paix. Qu’il n’y ait plus de place pour la guerre, les conflits.

Il m’arrive de me remémorer les soldats à qui j’ai ôté la vie et je ressens une souffrance accrue à leur souvenir. Leurs regards écarquillés, dernières lucioles colorées dans les ténèbres glacées, hantent parfois mon sommeil. Je plonge peut-être pour ça. Pour les tutoyer dans l’abîme des profondeurs.

Elle fait semblant de dormir. On apprend ça aux commandos. Je pivote vers elle. Nos visages sont à quelques centimètres, séparés par un coussin raplati tendance béret basque. Il y a de l’électricité entre nous. Des pensées poussent sur tous mes contours. Je me sens à l’étroit.

Son regard a retrouvé un semblant de sérénité. Elle franchit en déhanchements félins les quelques mètres la séparant du lit, les bras croisés sous sa poitrine, le port altier. Quelques minuscules plaques de cellulite sur l’arrière de ses cuisses apparaissent à la lumière, comme des sceaux de bijoutiers.

Elle a un côté impudique. Puis elle s’allonge sur le dos et, à force de circonvolutions, se débarrasse de son jean. Elle ne le garde donc pas sur elle. Vêtue de son seul Tanga en dentelle, elle passe près de moi, fière. Elle agite sa brosse à dents et son dentifrice de poche devant mon visage.

L’émotion soulève sa poitrine. Ses lèvres sont pâles et tremblent d’une colère contenue. Elle joue pêle-mêle sur la corde sensible de la femme seule, mon métier de commando, le fait que je suis désormais mêlé à l’affaire, le tout sur un ton suppliant.

Ce n’était pas le genre de type à accorder sa confiance comme ça. Il se méfiait de tout le monde. Il a fallu que je l’apprivoise en expliquant mon passé d’études de médecine, même si c’est très loin depuis ma vie de psychologue itinérante. Mais je ne suis pas restée assez longtemps. Et… il m’a appelée tout excité il y a une semaine pour m’annoncer ce qu’il avait trouvé, ce qui se passe ici et à Kaodang, une autre île au large de Goa, en Inde.

Elle s’anime de gestes graciles et de regards appuyés. Elle joue légèrement des épaules, se penche, laisse entrevoir la naissance d’une poitrine pleine. Un voile de houblon reste accroché à ses pupilles. Je tâche de revenir à des choses factuelles. Je lui demande pourquoi, selon elle, Porter a été assassiné.

Le Telos, c’est ce que nous sommes, ce que nous acceptons et accueillons de nous-mêmes, au présent. Pour être ancrés, dans notre justesse. Un travail, de toute une vie, destiné à filtrer les peurs dont nous héritons, à comprendre ce qui nous meut, à appréhender l’amour de soi afin de mieux aimer les autres.