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Critique de JustAWord


Désormais solidement installé dans le milieu de l'imaginaire français, à la fois traducteur, auteur et co-fondateur du site Elbakin.net, Emmanuel Chastellière retourne à l'univers de Célestopol en authentique « amoureux de cette cité » comme il le dit lui-même en fin d'ouvrage.
Pour cette seconde escapade lunaire, on ne change pas une recette qui marche puisque c'est de nouveau un fix-up de nouvelles (au nombre de treize) entre ambiance steampunk et science-fiction à la Jules Vernes que nous offre ce Célestopol 1922 qui, comme vous vous en doutez, s'intéresse aux évènements de l'année 1922 dans la cité légendaire du duc Nikolaï.
Pas de panique cependant pour ceux qui ont loupé le premier opus, le présent recueil peut tout à fait se lire de façon indépendante…et Célestopol premier du nom est toujours disponible chez Libretto !
Voyons maintenant si cette « suite » est à la hauteur de son illustre prédécesseur dans le sublime écrin préparé par les éditions de L'Homme sans Nom !

Densifier l'univers
Retour à Célestopol donc avec, pour une bonne entrée en matière, le come-back du duo de mercenaires préférés de l'auteur : Wojtek, un homme dont l'esprit a été transféré dans le corps de l'ours qui l'a tué (et qui a survécu à la seconde guerre de Crimée), et Arnrún, une islandaise rebelle nostalgique de son île glacée. Pourtant avec Toungouska, nous voilà sur la terre ferme et non sur la lune ! Ce sacrilège apparent n'est en fait là que pour élargir le scope de l'univers et ratisser toujours plus large dans l'uchronie qui sous-tend l'univers construit par Chastellière. C'est ici la science et ses dangers qui sont mis en relief, ainsi que certains incidents mystérieux de l'Histoire (l'évènement de Toungouska en 1908 en l'occurence). Une occasion supplémentaire pour l'auteur d'asseoir la crédibilité de son monde tout en imaginant les chemins emprunté par ses propres personnages. En l'état, Toungouska donne le ton de l'ouvrage : une reprise de tous les ingrédients narratifs du précédent opus que l'on va densifier en termes de background et d'évènements plus ou moins obscurs.
En revenant de façon régulière sur la chronologie singulière de son univers et sur les nombreux pas de côté de l'histoire imaginée, Emmanuel Chastellière brode un canevas particulièrement savoureux pour les amateurs d'uchronie.
Une uchronie où l'homme a construit une cité lunaire gigantesque du nom de Célestopol, riche d'un élément rare — le sélénium — et qui semble fusionner Saint-Pétersbourg, Venise et Paris d'un même tenant. L'ambiance, particulièrement délicieuse, avec son goût pour une certaine science-fiction surannée et son côté pulps assumé, offre au lecteur de réjouissantes aventures qui vont souvent plus loin que le simple divertissement.
Car entre deux considérations sur la Nouvelle-France et sur l'hégémonie allemande en Afrique, Emmanuel Chastellière quitte sa géopolitique imaginaire pour des problèmes sociaux et humains bels et bien réels.

L'homme sur la Lune
Dès la seconde nouvelle, Rossignol, le français nous convie à la lutte des ouvriers lunaires pour leur droit, imaginant une sorte de Germinal qui n'a jamais été, constatant la vilénie d'un système voué à exploiter et tromper son prochain pour amasser le plus gros paquet de fric (et de gloire si possible).
Des thèmes très actuels qui se retrouvent dans plusieurs histoires, de l'exploitation sexuelle des automates (que l'on dit bien évidemment non-humains) dans Paint Pastel Princess en passant par l'homophobie autour d'un patineur gay dans la sublime Sur la Glace (définitivement la plus belle nouvelle du recueil) ou la lutte féministe dans le Revers de la médaille.
Retrouvant également ses fidèles automates et leur condition ambiguë, quelque part entre la machine corvéable à merci et l'être artificiel conscient de son destin et de ses limitations, Célestopol se concentre davantage encore sur l'intime de ses personnages.
Des personnages combattifs et émouvants, en prise avec un réel qui les dépassent et les malmènent bien souvent. Multipliant les décors, Emmanuel Chastellière prend un plaisir évident à trimballer son lecteur de lieux en lieux, de l'opéra à l'orphelinat, d'un théâtre ambulant au trône ducal, des champs de courses à des compétitions d'échecs, le décor change et change encore, renouvelant sans cesse l'aventure pour le lecteur.
Bien sûr, des leitmotivs apparaissent, le duo Wojtek/Arnrún devient récurrent, l'ombre de Nikolaï plane sur la cité et les Cheyennes (miroir des Apaches Parisiens) rodent dans l'ombre. Mais la vraie force de Célestopol 1922 est ailleurs.

Science et magie
C'est dans le savant mélange entre la science et les merveilles technologiques de la cité du Duc d'un côté, et les éléments surnaturels du récit que l'alchimie se fait la plus fascinante. On pense forcément à La fille de l'hiver ou à Une Nuit à l'opéra Romanova où la frontière entre science et magie semble bien mince. Emmanuel Chastellière s'amuse à confondre le lecteur, à le mener de fausse piste en fausse piste tout en offrant parfois un arrière-goût à la Bioshock Infinite qui ravira les amateurs du genre.
Plus encore que sa tendance à mélanger les genres, c'est aussi sa façon de mixer les réalités qui donne son cachet unique à cette cité lunaire où l'on croise Marie Curie, Anastasia, François-Ferdinand ou encore Howard Carter. C'est dans l'entrelacement des éléments historiques et imaginaires que les frontières se brouillent le mieux et que Célestopol 1922 arrive, à nouveau, à nous surprendre. Ne négligeant jamais la cohérence et la chronologie de son univers (dommage d'ailleurs de ne pas dresser une sorte de frise chronologique pour s'y retrouver), le français lui confère une épaisseur et une originalité indéniable.
Une originalité encore renforcée par la volonté de donner une tonalité slave à cette cité, que ce soit dans le vocabulaire employé ou par les mythes recyclés (comme dans Un Visage dans la cendre et son…Vourdalak !). L'ensemble forme un véritable dépaysement pour le lecteur, largement à la hauteur des récits du premier opus et qui vient renforcer de façon efficace et puissante l'univers construit et chéri par Emmanuel Chastellière.

Célestopol 1922 étend encore et encore l'univers lunaire et uchronique imaginé par Emmanuel Chastellière. Peinture impressionniste où chaque touche narrative apporte une nouvelle profondeur à l'ensemble, ce fix-up réjouira non seulement les familiers du duc Nikolaï mais également (et surtout) tous ceux qui n'ont pas encore emprunté un obus-traversier pour déambuler entre les canaux de la cité du sélenium.
Lien : https://justaword.fr/c%C3%A9..
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