Entre 1890 et 1892, Edvard Munch peint deux fois la rue Karl-Johan, une des grandes artères d'Oslo. La première fois, il se rattache encore au post-impressionnisme et emprunte la technique pointilliste de Seurat. Les tons sont obtenus par la juxtaposition de fines touches de couleurs pures. Vues à la distance convenable, ces touches se fondent en un ensemble cohérent et nuancé, tout-à-fait digne des maîtres que Munch vient de rencontrer à Paris. Mais déjà, d'autres préoccupations apparaissent : au premier plan, une jeune femme vue de dos, dissimulée par une ombrelle rouge, introduit une dimension mystérieuse, voire angoissée, qui va bientôt dominer son art. ("La ville observée : Oslo par Munch", page 132.)
Envoyé par Ambroise Vollard à Londres au printemps 1906, Derain ne parut pas voir la Tamise à la manière de Monet, comme l'espérait le marchand. Encore ébloui par la lumière de Collioure, grâce à laquelle il avait inventé, en compagnie de Matisse, le fauvisme qui avait triomphé au Salon d'automne de 1905, il adopte à Londres une nouvelle gamme de nuances non plus chaudes mais froides (violets, bleus et verts parcourus de lumières roses) parfaitement adaptée à l'atmosphère particulière de cette ville qui n'a évidemment rien à voir avec Collioure, mais lui permet de concevoir des formes issues du plein air et destinées à se manifester dans la pleine lumière. ("Londres par Derain", page 137)
Dans les derniers jours de 1909, Picasso peint l'église du Sacré-Coeur de Montmartre, monstre architectural que l'on vient d'achever, depuis la fenêtre de son atelier boulevard de Clichy. Quelques jours plus tôt, Braque avait lui aussi traité la basilique en un petit format. C'est le moment de leur plus intense complicité dans l'invention du cubisme...Le Sacré-Coeur est trop tentant : ces invraisemblables formes romano-byzantines qui coiffent l'enchevêtrement des maisons de Montmartre offrent une excellente occasion de réduire un paysage à un assemblage de volumes géométriques. ( "La ville observée : Paris", page 126)