De quoi témoignent les gouvernants ou aspirants gouvernants de cette période si ce n’est du primat de l’image sur le sens, du paraître sur l’être, de l’art de la manipulation des foules sur les exigences de la "res publica" ? Victime de la crise de la démocratie représentative, la vie publique n’est plus qu’un théâtre d’ombres, un jeu de rôle où des figurants plus ou moins doués rivalisent de narcissisme et de démagogie sur les tréteaux publics. La culture, la littérature, l’art ne paraissent plus désormais que comme des accessoires d’une panoplie désuète à oublier au fond d’un placard. De son royaume de jeunesse, Victor Hugo, l’homme-siècle qui embrassa et brassa avec générosité tous les espoirs et les illusions d’une grande époque, disait qu’il n’était plus qu’une « poétique ruine » qu’il saluait avec respect, mais où il n’allait plus prier. Ainsi en sera-t-il, selon toute probabilité, malgré quelques sursauts individuels et éphémères, de l’alliance ancestrale entre le sceptre et la plume. Une poétique ruine…
Plus tard, instruit par trente ans de malheurs publics, il prononcera [Benjamin Constant] cette sentence sans appel : « J’ai horreur des révolutions, elles immolent les individus, elles dénaturent les caractères, elles mettent des devoirs factices à la place de devoirs réels, elles substituent une force aveugle à la force de la raison et à celle de la loi, elles pervertissent la justice, elles attendent aux droits de chacun… »
La « force des choses » l’a conduit [Saint-Just] à pétrifier son intolérance, qu’il exprime dans des sentences glaçantes : « On ne fait point de république avec des ménagements, mais avec la rigueur farouche envers tous ceux qui ont trahi » ; « Le vaisseau de la révolution ne peut arriver au port que sur une mer rougie par des torrents de sang », ou, pis : « Nous ne devons pas seulement punir les traîtres, mais tous ceux qui ne sont pas enthousiastes. Il n’y a que deux sortes de citoyens : les bons et les mauvais. Aux bons, la République doit sa protection. Aux mauvais, elle ne doit que la mort. »
Figure à la fois grandiose et héroïque, atroce et théâtrale, en qui on a pu voir un personnage byronien et satanique ou un martyr animé d’une foi religieuse confinant au fanatisme, modèle des possédés de Dostoïevski ou annonciateur de l’homme soviétique ou fasciste, Saint-Just justifie autant la fascination que la répulsion, et défie toujours l’interprétation. Entre le « bon samaritain de la terreur, noble et pur génie dont un siècle de calomnies et d’injustices n’a pu ternir l’incorrigible beauté », selon l’éditeur de ses « Œuvres » en 1908, l’helléniste Charles Vellay, ou la « mystérieuse figure à la tête belle et froide comme la morale », d’après Camus, et « l’écolier immature transformé en tigre dont une prétendue rigueur de système et emphase de talent ne saurait dissimuler qu’il n’a pas eu le temps de devenir adulte » aux dires de Sainte-Beuve, sans oublier le monstre sanguinaire dépeint avec horreur par Taine, le jugement vacille.
Ce beau défi, il est à craindre, hélas, qu’il ne sera pas relevé, tant la race des hommes d’ État de la trempe de Richelieu, de Napoléon, ou de Clémenceau semble avoir cédé la place à celle des gestionnaires d’une honnête médiocrité, sans convictions profondes ni véritable culture. En harmonie avec cet égalitarisme niveleur, ce funeste complexe de Procuste qui travaille sourdement la société française depuis la Révolution.
"L'art du portrait conjugué à une belle écriture ! Un ouvrage passionnant qui se penche sur le rapport entre écrivains et politiques. Voltaire, Jaurès, Montaigne, Mitterand... Une époque où les écrivains s'exprimaient et avaient un vrai pouvoir politique ! C'est passionnant !" - Gérard Collard.
A travers une galerie de portraits ciselés, de Montaigne à François Mitterrand, qui convoquent l'ironie de Saint-Simon et l'acuité psychologique de Sainte-Beuve, ce grand livre raconte pour la première fois la vie et les oeuvres des plus illustres auteurs qui ont exercé de hautes responsabilités politiques et des plus fameux hommes d'Etat qui ont enrichi notre patrimoine littéraire.
- le sceptre et la plume - Politique et littérature en France de Montaigne à François Mitterrand. Bruno de Cessole chez Perrin.
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