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Critique de PrettyYoungCat


Quel curieux livre que ce Roman russe !
Avec une impudeur singulière et embarrassante, Emmanuel Carrère nous conte un morceau de vies... Cela ferait penser à D'autres vies que la mienne dit comme cela, mais ce qui le distingue c'est - d'après mon ressenti - que les personnes sont comme des personnages de roman dont on étale les secrets, les turpitudes, les failles...

"(...) jusqu'où un écrivain peut-il offrir ses proches en pâture au public, les sacrifier à sa propre jouissance ? (...) Je n'aime ni les mystères ni le ton de ce message, mais il touche juste. Je me demande si écrire, pour moi, revient nécessairement à tuer quelqu'un."

Si le choix de la couverture déroute : pourquoi un homme sous l'eau ? si ce n'est le nu de l'impudeur et la plongée en apnée dans une histoire de vies, au pluriel donc. le choix du titre, quant à lui, se comprend. Un roman qui n'en est pourtant pas un, mais un écrivain qui utilise les autres comme des fantoches, presque réjoui des rebondissements malheureux pour que ce roman du réel prenne vie...
Et russe car - voilà ce qui initialement m'avait attirée dans cette histoire - c'est que, par sa mère, Emmanuel Carrère a des origines russes. Or, il se trouve que le père de sa mère fut un collabo durant la seconde guerre mondiale, disparu dans des circonstances inconnues, ce qui en a fait un secret honteux que sa mère a pris soin d'enterrer.
Parallèlement, Emmanuel Carrère est appelé à réaliser un documentaire à Kotelnitch, un bled paumé de Russie, pour suivre l'histoire d'un Hongrois, libéré après plus de 50 ans d'un asile psychiatrique où il a séjourné après avoir été fait prisonnier par les Russes durant la seconde guerre mondiale.

Ce fil d'Ariane pour aborder le poids des secrets à un niveau transgénérationnel m'apparaissait vraiment intéressant...
Sauf que Emmanuel Carrère ne se contente pas de suivre cette ligne directrice. Il nous livre - en pâture pour reprendre le mot - sa relation sentimentale, passionnelle, conflictuelle et tortueuse avec Sophie, sa compagne.

L'écrivain se met tout pareillement "à poil" au sens où il nous donne à voir les aspects les plus odieux de lui-même et semble presque en jouir... On voit là quelqu'un pétri de névroses qui s'inflige et inflige parce qu'il est embarrassé de lui-même. Il le sait. Il est lucide. Il est coutumier de la psychothérapie, sinon même de la psychanalyse. Cela va loin. Qu'il le choisisse pour lui-même, soit. Qu'il l'impose aux autres, met mal à l'aise.
Quant au secret de sa mère, elle le supplie d'attendre sa mort pour creuser, mais Emmanuel Carrère y voit là a fortiori justement toutes les raisons d'exhumer ces secrets qu'il considère lui appartenir aussi dès lors qu'il s'en sent prisonnier... Elle lui dira finalement qu'elle avait compris qu'il le faisait pour elle...

Et finalement, que reste-t-il de tout cela ? C'est un des protagonistes russes de "l'histoire" qui le résume le mieux : "c'est bien. Et ce que je trouve surtout bien, c'est que tu parles de ton grand-père, de ton histoire à toi. Tu n'es pas seulement venu prendre notre malheur à nous, tu as apporté le tien. Ça, ça me plait."

On "nage" dans cette ambiguïté (et le choix de la couverture nous est expliqué en toute dernière page), dans ce bassin de souffrances, mais j'y ai vu, moi, même si Emmanuel Carrère part en quête d'un point final pour terminer son livre et boucler la boucle, la brasse éperdue de quelqu'un qui se noie sans jamais trouver sens à ce qu'il veut toucher du doigt.
Alors, c'est sur ce même sentiment mitigé que je clos cette critique.
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