Citations sur Petite (31)
Je vis avec la faim, je la mate, je la dompte, je l'apprivoise, je l'endors. Après avoir été cruelle, elle se calme toute seule, il suffit d'attendre. Je sais qu'un bonbon la trompe. J'aime la sentir toute la journée, juste en dessous du plexus, un courant d'air qui me réunit à l'air du ciel. Je considère que la faim me donne une énergie immense, une légèreté de sarcasme. Mes pieds ont moins à porter, et même si la surveillante générale m'a dit que j'étais longue comme un jour sans pain, et qu'on me trouvait désormais agressive et méchante - alors qu'il me semble ne dire quasi rien à personne et passer comme une danseuse - je suis fière de mon entreprise. J'allège le monde.
Quelquefois les livres vous aident plus que n'importe quoi.
Sans cesse j'étouffe, je m'englue dans la toile, je me crois maligne, je souffre, mais je ne le sais pas.
Tout va continuer comme ça, éternellement. Je sais aussi que ça ne peut pas du tout continuer, mais je ne vois rien devant moi, je n'ai aucun espoir. Un petit enfer s'est substitué à la vie d'avant, insensiblement, je ne vois pas la différence.
Je cherche à échapper à la mort, aux sentiments, à la jalousie des dieux, aux souffrances qu'ils concoctent pour ceux qui aiment, ceux qui vivent.
Je fais ma petite tambouille.
Peu à peu les choses deviennent visibles. Peu à peu,les gestes secrets, répétés suffisamment souvent, pendant suffisamment longtemps, sont pris au filet de l'attention de ceux qui vous entourent. Toujours. Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas quand, ni comment, mes parents m'ont vue.
Pourquoi suis-je si profondément convaincue que ces filles qui se laissent mourir ont une raison commune et secrète, qu’elles cherchent à savoir où est la vie et où est la mort, à cause de quelque chose qu’il fallait leur dire, qu’on n’a pas pu leur dire, quelque chose qui leur fait peur.
Le poids déplacé d’une faute ?
Le docteur est immense et son front est inoubliablement opaque. On ne peut rien sentir de lui. (...) Nouk essaie de lui faire comprendre qu'elle est prête à tout, à manger toute la journée s'il le faut, elle pense qu'elle pourra toujours redevenir elle-même après, rendue à la liberté. Elle dit qu'on doit lui donner des chiffres plus précis, des dates. Elle se trompe, elle n'a rien compris à la méthode des docteurs. On ne doit rien du tout. On ne lui parle pas. Il faut qu'elle se mette bien dans le crâne qu'elle est folle. On ne parle pas aux folles de quatorze ans.
(p. 81).
C’est gênant et dangereux d’avouer aux gens qu’on est différent d’eux, ils essaient de vous démontrer le contraire, on attire leur attention, et ils deviennent méchants.
Je pédale fort, je monte des côtes très longues, je ne regarde rien, je cherche a faire sortir quelque chose de mon corps, la graisse, la chair en trop, et autre chose de lourds asphyxiant. Plusieurs fois par jour, je mesure le tour de mes cuisses avec un metre ruban jaune, en trichant, d