Il y a dans la nuit un je ne sais quoi de grave et de maternel qui m’a toujours réconforté.
Si claires en sont encore les couleurs, si fraîches, qu’au souvenir des évènements de jadis, je peux en parler comme je le fais aujourd’hui, en les accompagnants des mille pensées de mon âge, car l’enfant que je fus recevait ces fraîches images sans savoir qu’il enrichissait jusqu’aux plus vieux jours de sa vie l’homme qu’un jour je devais être.
Il s’assit un peu à l’écart et prit part en silence au conciliabule. Car c’était là son habitude, ne rien dire, écouter, et mystérieusement, par de longs silences, communiquer un peu de sa pensée prudente.
…Parce que ce grenier c’est un Ratapolis, un Pétaupan et une Pétaudière…Mais j’y mettrais bon ordre, ça sera rondement mené, foi de tante Martine !... Il n’est que temps…Je parie que le diable y dort au moins une fois par semaine tant c’est plein de ratepénades…Et maintenant j’ai dit ! A prendre ou à laisser…
A part les moutons, les agneaux, les chèvres et les chiens, et peut-être les noms de six ou sept étoiles, je ne sais pas grand-chose, ni de la terre ni du ciel ! Mais ça me suffit…Ce que je sais, je l’aime…
Quand j’ai ouvert les yeux la veilleuse brûlait encore. Cependant le soleil frappait vigoureusement mes volets. Il en illuminait les longues fentes. D’habitude je ne traînais guère au lit, le matin. J’adorai la fraîcheur surtout sur mon visage, que j’offrais bien ouvert, à l’air naissant. Car c’est alors que l’air semble renaître. A cette heure où les ifs, les pins, les chênes et les aubépines sauvages, qui abondaient autour de la maison, exhalent les parfums de leurs sèves, de leurs écorces et l’amère humidité de leurs feuillages, respirer tant de vie était pour mon sang un vif réconfort.
…la nuit on dort, le jour on rêve…
Leur blé fait le pain, le vrai pain de farine. Il n’y en a pas de meilleur. On y mange tout le soleil.
Jour heureux marqué à jamais par le souvenir d’une lumière étrange qui dans sa marche immatérielle avait passé de la terre et du ciel jusqu’à mon âme où le soleil, même la nuit, ne s’enfonce jamais très loin sous l’horizon.
Je revis ce que j’ai vécu. Vivre, et surtout pour un enfant, c’est mieux, c’est bien plus que connaître. C’est recevoir tout droit au cœur les images du monde, les saisir et les fondre en soi, c’est en faire sa propre vie et la substance même de son âme au temps de sa croissance.