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Citations sur Nocturne du Chili (7)

Maintenant ma mort est là, pourtant j'ai encore beaucoup de choses à dire. J'étais en paix avec moi-même. Muet et en paix. Mais tout à coup les choses sont apparues. C'est ce jeune homme aux cheveux blancs qui est le coupable. Moi, j'étais en paix. Maintenant je ne suis pas en paix. Il faut donc éclaircir certains points. Je m'appuierai donc sur un coude, lèverai la tête, mon noble chef tremblant, et rechercherai du côté des souvenirs ces actions qui me justifient et démentent donc les infamies que le jeune homme aux cheveux blancs a répandues pour mon discrédit en une seule nuit étincelante d'éclairs. Mon prétendu discrédit.
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Peu après je partis pour Paris, où je passai environ un mois à écrire de la poésie, à fréquenter des musées et des bibliothèques, à visiter des églises si belles qu’elles me mettaient les larmes aux yeux, à jeter sur le papier, lors de mes moments de loisir, les grandes lignes de mon rapport sur la protection des monuments d’intérêt national, en insistant particulièrement sur l’emploi des faucons, à adresser mes chroniques littéraires et mes comptes rendus, à lire des livres que l’on m’envoyait de Santiago, à manger et à me promener. De temps à autre et sans aucune nécessité, monsieur Etniarc m’adressait quelques mots. Une fois par semaine je me rendais à l’ambassade chilienne, où j’avais l’habitude de lire les journaux du pays, de bavarder avec le conseiller culturel, un type sympathique, très chilien, très chrétien, pas excessivement cultivé, qui apprenait le français en faisant les mots croisés du Figaro.
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Le matin, je le passais à marcher de la paroisse aux champs en friche, de ces terres abandonnées aux faubourgs, des faubourgs au centre de Santiago. Un après-midi, deux malfrats m'agressèrent. Je n'ai pas de fric, mes enfants, leur dis-je. Bien sûr que t'as du fric, espèce d'enculé de curé, répondirent les voyous. Je finis par leur donner mon portefeuille et par prier pour eux, mais pas beaucoup. Le dégoût que je ressentais était cruel. L'abattement ne me quittait pas d'une semelle.
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[...] mes lectures, le bonheur, le bonheur, la joie retrouvée, la signification réelle de la prière, mes prières qui s'élevaient jusqu'au-delà des nuages, là où rien n'existe que la musique, ce que nous appelons le chœur des anges, un espace non humain mais sans aucun doute le seul espace que nous pouvons habiter, ne serait-ce que conjecturellement, nous les humains, un espace inhabitable mais le seul espace qui mérite d'être habité, un espace où nous cesserons d'être et cependant l'unique espace où nous pouvons être ce que nous sommes vraiment, [...]
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J'entends dans le lointain quelque chose qui évoque une horde de quelques dizaines de primates qui se mettraient à baragouiner, tous à la fois, en proie à la plus grande excitation, je retire alors ma main de la couverture pelucheuse, la plonge dans le fleuve et change péniblement le cap du lit en usant de ma main comme d'un aviron, agitant les quatre doigts à la manière d'un ventilateur indien, et lorsque le lit a infléchi sa trajectoire les seules choses que je vois ce sont la jungle et le fleuve, les affluents et le ciel qui n'est plus gris mais bleu lumineux, et deux nuages minuscules et lointains qui courent pareils à des enfants emportés par le vent. Les criailleries des singes ont cessé. Quel soulagement. Quel silence. Quelle paix.
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Contre l’un des murs s’empilait ce que la poésie et la narration chiliennes avaient produit de meilleur et de plus remarquable, chacun des ouvrages étant dédicacé à Farewell par son auteur, avec des mots ingénieux, aimables, affectueux, complices. Je me dis en moi-même que mon amphitryon était sans doute l’estuaire où se réfugiaient, pour des périodes courtes ou longues, toutes les embarcations littéraires de la patrie, des yachts fragiles jusqu’aux grands cargos, des odoriférantes embarcations de pêche jusqu’aux extravagants cuirassés. Ce n’était pas par hasard que quelques instants plus tôt sa demeure m’était apparue pareille à un transatlantique ! En réalité, me dis-je intérieurement, la demeure de Farewell était un port. Ensuite j’entendis un bruit léger, comme si quelqu’un rampait sur la terrasse. Piqué par la curiosité, j’ouvris une des portes-fenêtres et sortis. L’air était de plus en plus froid, et il n’y avait là personne, mais dans le jardin je distinguai une ombre oblongue comme un cercueil qui se dirigeait vers une sorte de décor de branchages, plaisant clin d’œil grec que Farewell avait fait élever à côté d’une étrange petite statue équestre en bronze, haute d’une quarantaine de centimètres, qui sur son piédestal de porphyre paraissait être éternellement en train de surgir de ce fond de branchages. Dans le ciel sans nuages la lune se détachait avec netteté. Le vent fit voltiger ma soutane. Je m’approchai d’un pas décidé de l’endroit où s’était cachée l’ombre. Je le vis auprès de la fantaisie équestre de Farewell. Il me tournait le dos. Il portait une veste de velours, une écharpe et, sur le crâne, un chapeau à bord étroit rejeté vers l’arrière et d’une voix profonde il murmurait des paroles qui ne pouvaient être adressées à personne d’autre qu’à la lune. Je me figeai sur place comme si j’avais été le reflet de la statue, avec la patte gauche suspendue en l’air. C’était Neruda.
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Maintenant ma mort est là, pourtant j’ai encore beaucoup de choses à dire. J’étais en paix avec moi-même. Muet et en paix. Mais tout à coup les choses sont apparues. C’est ce jeune homme aux cheveux blancs qui est le coupable. Moi, j’étais en paix. Maintenant je ne suis pas en paix. Il faut éclaircir certains points. Je m’appuierai donc sur un coude, lèverai la tête, mon noble chef tremblant, et rechercherai du côté des souvenirs ces actions qui me justifient et démentent donc les infamies que le jeune homme aux cheveux blancs a répandues pour mon discrédit en une seule nuit étincelante d’éclairs. Mon prétendu discrédit. Il faut être responsable. Cela, je l’ai dit toute ma vie. Chacun a l’obligation morale d’être responsable de ses actes et aussi de ses paroles et même de ses silences, oui, de ses silences, parce que les silences montent aussi au ciel et Dieu les entend, et seul Dieu les comprend et les juge, attention donc avec les silences.
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