J'ai tout de suite été captivé par cette histoire.
Hortense, le personnage principal de
Paris in utero, n'aimerait surement pas ma façon de présenter les choses, mais il est vrai pourtant que ce roman retrace brillamment (c'est-à dire avec intelligence et humour) une période déterminante de son développement personnel.
La spécialiste qu'elle rencontre (S.F. de la W.S.) le lui annonce très clairement : « Votre ignorance est la source même de vos souffrances. »
Ça énerve de prendre ce genre d'allégation en pleine tronche, mais c'est souvent vrai.
Avec sa charmante Hortense,
Selma Bodwinger nous immerge dès les premières phrases dans une atmosphère psychologique très particulière : Hortense vit intensément les événements dans une forme d'urgence qui la pousse à agir de façon frénétique. Dans le même temps, elle a une perception organique du monde, tel un grand corps où elle circule comme une cellule emportée dans des flux qu'elle ne maîtrise pas.
Si bien que pour suivre sa route il lui faut constamment lutter contre des courants qui l'en détournent.
Dans le premier chapitre, tous les ressorts essentiels du roman sont évoqués : la gare (promesse de nouveau départ) et l'égarement ; la désorientation (perdre le nord à la gare du Nord fallait oser !) et la prédiction ; un amour perdu (un certain Antoine) et un espoir de rencontre idéale, incarné par un inconnu porteur d'avenir : « Il lisait mon présent, devinait mon passé et il devait justement être question de mon avenir lors de cette première entrevue. »
Hortense a échangé pendant des mois avec ce type – un certain Yous –, des emails concernant l'histoire de l'inquisition en Europe. Assez pointu comme sujet, mais aussi assez sexy, comme on le verra un peu plus tard.
Ils ont rendez-vous sous le panneau “Départs” des grandes lignes.
Ils vont se voir pour la première fois.
La foule, les travaux, des obstacles de toutes sortes se mettent en travers de leur route.
Rendez-vous raté.
L'homme lui a laissé un mot au guichet d'information, avec les coordonnées d'une personne à contacter « En mon absence, elle saura vous aider. »
L'aider ? Mais comment peut-on l'aider à reconquérir Antoine ? Car de quoi d'autre peut-il être question ?
Après quelques hésitations Hortense contacte cette fameuse Suzanne Folder de la Wishcraft Society…
À partir de ce moment, c'est avec un naturel désarmant (une ruse très subtile de l'auteure ce flot naturel), que
Selma Bodwinger nous fait progressivement partager l'itinéraire d'Hortense sur le surprenant chemin de sa destiné.
Une écriture maîtrisée où ne manque ni la sensualité ni l'humour, ni, au plus fort de l'intrigue, un lyrisme certain. Une construction rigoureuse autour de scènes centrales cocasses, toujours très visuelles, ou peu à peu, avec la progression d'Hortense dans la découverte d'elle-même, et de ses pouvoirs, dominent les thèmes de l'authenticité et de l'éveil des sens.
Après la traversée de nombreuses étapes “purificatrices” elle retrouve enfin, en chair et en os (si je puis dire) son mystérieux Yous qui parachève alors son initiation.
Extrait :
« Je levai la tête vers le ciel, les yeux grands ouverts, connectée aux étoiles et à l'univers et le feu blanc traversa mon crâne pour mieux s'élever dans les airs, en une colonne lumineuse qui me sembla assez haute pour atteindre le ciel. »
Je tiens à ajouter ceci : on remarque tout de suite quelque chose d'énigmatique quand on commence ce livre : le premier chapitre est numéroté X, le deuxième XIX, le troisième VII, et ainsi de suite, jusqu'au dernier, le vingtième, qui est numéroté I. Tout cela n'obéit à aucune règle apparente, mais il y en a une, bien entendu, que vous finirez comme moi par découvrir…