C'était l'impression d'être amarré à une autre âme.
Le Cap, c'est l'Afrique non-africaine, où les lances se transforment en pieds de lampes et les éléphants en tabourets. Une Afrique de chiens et de chats, et de nains de jardin. La mort vous surprend, bercé par les chansons de radio 5 ou entrain de jouer au cricket sur la plage.
Je jette ce qui reste d'appât dans l'eau. Les poissons foncent sur ce qui est en train de couler, tout comme ils avaient foncé sur les cendres d'un homme qui rêvait que ses fils défendraient un jour les couleurs de la province au cricket, les cendres d'une tête comme une île entourée de sang.
D'une certaine façon, j'en suis ravi, car je n'ai jamais eu le sens du rebond zigzagant du ballon de rugby. Tout comme je n'ai jamais senti quelle direction allait prendre la vie. Tout ça, c'est du pur hasard pour moi. Une balle de cricket tue Marsden. Une bande de babouins surgit au détour d'un virage. Une saute d'humeur nous exile au fin fond du désert.
L'histoire, ce n'est pas comme la biologie où l'on fait des trous dans des lézards. Ce n'est pas un lézard de plus de moins, ici ou là. Vingt-six mille femmes et enfants boers sont morts dans les camps anglais pendant la guerre. Non, l'histoire n'est pas une succession de chiffres froids comme en mathématiques, où l'on peut effacer ses erreurs de calcul. Non, en histoire, on n'efface rien, on ne fouine pas non plus ; on se souvient.
Je m'appelle Douglas. Je suis vivant, même si une partie de moi, le moi en Marsden, est soustraite.
Mais aucune magie de la lune ne peut ramener les choses à ce qu'elles étaient avant que mon père lance cette balle, avant que ma vie soit coupée en deux.
Ils ne savent pas qu'il n'a senti le soleil sur son visage qu'un jour par semaine pendant trente ans.
Avoir à survivre pour ma mère pèse lourd sur mes épaules.
Elle pose son gin tonic et soupire:
-Dee,je ne pourrais plus jamais être heureuse.Il y aura peut-être des moments de bonheur,mais la douleur sera toujours là.
Je la sens comme un courant qui me tire par les pieds, m'entraînant vers les algues sombres du fond.
-Tu n'es pas heureuse là,maintenant,avec moi?
-J'adore être avec toi,Dee.Mais il faut être aveugle pour ne pas voir à quel point la vie peut être cruelle.
Je mâche ma paille pour m'empêcher de pleurer.Jamais je ne pourrai à moi seul rendre ma mère heureuse.