La Terre a été profondément chamboulée par ce que les survivants appellent le Coup de Sang. Dans un monde post-apocalyptique, quelques hommes errent sans véritable but. Au volant de sa Ferrari solaire, Lawrence, un ancien aumônier de l'armée, croise la route de deux jeunes hommes en piteux état : Roem et son ami Merkt …
Qu'est-ce que
Shakespeare pourrait bien venir faire dans ce paysage post-apocalyptique ? Après l'épisode du « Coup de Sang », qui ne laissa sur Terre qu'une poignée de survivants, les landes désertes s'étendent jusqu'à l'horizon… de grandes routes, des bâtiments de temps en temps, et un ciel déchaîné surplombant une atmosphère nauséeuse de pétrole. Avec ça, essayez de survivre. Essayez de vous dire que votre vie a encore un quelconque intérêt.
C'est peut-être afin de ne pas anéantir ce dernier moteur de la survie que les rescapés se regroupent ? Lorsque Lawrence, à bord de sa Ferrari solaire, croise la route de Roem et de son ami Merkt, il leur propose de venir s'installer avec le reste de sa tribu. Plus on est de fous, mieux on survit. Une telle proposition ne se refuse pas. La communauté s'agrandit…
Tybb, Roem, Merkt, Lawrence, Julia… font étrangement écho à Tybalt, Roméo, Mercutio, Laurent et Juliette de la célèbre pièce de
Shakespeare… Simple coïncidence ? Peut-être… Après tous, les noms ne sont pas exactement les mêmes que ceux des héros de la pièce originale, et les premiers ne sauraient être plus que des dérivés dégénérés des seconds.
D'où vient alors cette focalisation abrutie sur la ressemblance entre la troupe de
Shakespeare et la troupe de survivants ? Dans un monde vide où tout a encore moins de sens qu'en temps normal, les esprits essaient peut-être, tout simplement, de se raccrocher à quelque chose de connu. Après la fin du monde, la fin de l'histoire n'a pas encore sonné. La dernière bouchée de foie gras avalée, que reste-t-il encore à faire ? Alors que tout semblait définitivement achevé, la saison des amours repart pour un nouveau tour de piste…
Julia et Roem sont électrisés l'un par l'autre. le charme agit sans explications. Ils n'ont pas besoin de se parler, et subissent le retour de la tragédie sans que leur volonté ne semble agir une seconde. L'histoire reprend…
Enki Bilal n'a pas fait preuve d'une imagination démente pour constituer l'intrigue de cet album. Pour qu'on ne lui reproche pas le manque d'inspiration, il a tout de même tenu à transposer cette histoire dans un cadre qui ne ressemble en rien à l'Angleterre du 16e siècle. Ici, nous ne sommes nulle part ; le soleil, même, ne se couche peut-être plus à l'ouest. le ciel et la terre se fondent sous une couche de gris parfois éclairés de bleu et de rouge vif. Ca flambe, au loin… Les personnages, désabusés, sont débarrassés de tous les seconds rôles de la pièce originale de
Shakespeare. L'huis clos en fonctionne d'autant mieux. Malgré ces différences,
Shakespeare rejaillit de la bouche de Julia, Roem et consorts comme si un désastre apocalyptique n'avait jamais pu les séparer de leurs racines culturelles. Et la survenue inopinée du dramaturge est du plus bel effet :
Shakespeare s'intègre sans difficultés aux planches noires dessinées par
Enki Bilal. La poésie des mots se joint dans une commune mesure à la rêverie de tableaux sombres. Hélas, tout
Shakespeare ne pouvait pas figurer dans un album –d'ailleurs, il ne le devait pas non plus sous peine que
Julia et Roem perde son statut d'oeuvre originale- mais le reste des paroles semble fade et peu consistant lorsque
Shakespeare se tait. le revival, d'ailleurs, ne se met pas en place immédiatement, et il est expédié en quelques dizaines de pages.
Julia et Roem, malgré sa singulière beauté, correspond à l'univers post-apocalyptique duquel il a surgi : pareil au souvenir d'un vieillard qui se serait laissé bercer par
Roméo et Juliette dans sa jeunesse, il ne fournit que des bribes de poésie confuse au milieu d'un désert de pétrole destructeur.
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