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Citations sur Journal 1942-1944 - Suivi de Hélène Berr, une vie confi.. (100)

Couronnement de la nature:

Ce matin, après avoir épluché les pommes de terre, je me suis sauvée au jardin, sûre de la joie qui m'attendait. J'ai retrouvé les sensations de l'été dernier, fraîches et neuves, qui m'attendaient comme des amies. Le foudroiement de lumière qui émane du potager, l'allégresse qui accompagne la montée triomphante dans le soleil matinal, la joie à chaque instant renouvelée d'une découverte, le parfum subtil des buis en fleurs, le bourdonnement des abeilles, l'apparition soudaine d'un papillon au vol hésitant et un peu ivre. Tout cela, je le reconnaissais, avec une joie singulière. Je suis restée à rêver sur le banc là-haut, à me laisser caresser par cette atmosphère si douce qu'elle faisait fondre mon cœur comme de la cire; et à chaque moment je percevais une splendeur nouvelle, le chant d'un oiseau qui s'essayait dans les arbres encore dénudés, et auquel je n'avais pas encore fait attention, et qui soudain peuplait le silence de voix, le roucoulement lointain des pigeons, le pépiement des autres oiseaux; je me suis amusée à à observer le miracle des gouttes de rosée sur les herbes, en tournant un peu la tête, je voyais leur couleur changer du diamant à l'émeraude, puis à l'or rouge. L'une d'elles est même devenue rubis, on aurait dit de petits phares. Brusquement, en renversant la tête, pour voir le monde à l'envers, j'ai réalisé l'harmonie merveilleuse des couleurs du paysage qui s'étendait devant moi, le bleu du ciel, le bleu doux des collines, le rose, les bruns et les ocres tranquilles des toits, le gris paisible du clocher, tout baignés de douceur lumineuse. Seule l'herbe fraîche et verte à mes pieds mettait une une note plus crue, comme si elle seule était vivante dans ce paysage de rêve. Je me suis dit: "Sur un tableau, on croirait ce vert irréel, avec tous ces coloris de pastel."Mais c'était vrai.p.25
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Mais ce n'est pas de la peur, car je n'ai pas peur de ce qui pourrait m'arriver ; je crois que je l'accepterais, car j'ai accepté beaucoup de choses dures, et je n,ai pas un caractère qui se révolte devant l'épreuve. Mais je crains que mon beau rêve ne puisse se compléter, se réaliser. Je ne crains pas pour moi, mais pour cette belle chose qui aurait pu être.
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Et puis ils ne pensent pas, j'en reviens toujours à cela, je crois que c'est la base du mal; et la force sur laquelle s'appuie ce régime. Annihiler la pensée personnelle, la réaction de la conscience individuelle, tel est le premier pas du nazisme.
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J'ai eu une douleur au cœur, on ne peut qu'apprendre des nouvelles de ce genre en ce moment. Mais lorsqu'il s'agit de vos proches, la douleur est d'un genre différent. L'horrible engrenage tourne, tourne et happe sans cesse. Sa griffe agrippe tantôt des inconnus, tantôt les vôtres, créant partout un monde inextricable de souffrances et de soucis.
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Vendredi, chez Mme Milhaud, nous avons discuté la question. Elle disait: plus tard, si le malheur arrive, nous ne comprendrons pas comment nous avons pu rester, si nous avions la possibilité de nos dérober, nous nous trouverons fous. Il y a sans doute une part d'inconscience. Mais moi, j'ai conscience, et c'est pour cela que je suis si tourmentée.
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J'ai dit que je n'avais pas peur. Pourtant je me demande si ce n'est pas par ignorance, ignorance des souffrances qu'il y aura à endurer, ignorance de mon pouvoir de résistance. Si, une fois que je sera là-bas, je ne me dira pas que nous étions fous et aveugles de rester.
Je sais très bien que si nous sommes pris, je serai déportée séparément de mes parents, que cette séparation sera une angoisse atroce pour chacun de nous, en plus du fait même de la déportation.
Je me dirai alors : comment, sachant cela, n'as-tu rien fait pour l'éviter?
Si quelqu'un lit ces lignes, et que cela soit arrivé, il sera frappé comme par la main de Keats, et après il dira: oui, comment, comment?
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Qu'on soit arrivé à concevoir le devoir comme une chose indépendante de la conscience, indépendante de la justice, de la bonté, de la charité, c'est là la preuve de l'inanité de notre civilisation.
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- 10 septembre 1942 -
Maman a eu des détails sur l'exécution du jeune Pironneau [*] . C'était le jour de la grande parade, on l'a emmené à sept heures, avec un autre, dans la voiture cellulaire avec leurs cercueils. Il n'y avait personne pour les fusiller ; ils ont attendu jusqu'à trois heures de l'après-midi, qu'un "volontaire" vienne les fusiller, en obligeant l'un à assister à la mort de l'autre. (p. 137)
[ * Roger Pironneau, résistant de 19 ans, fusillé au mont Valérien le 29 juillet 1942. ]
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21 juillet 1942
(...) quinze mille hommes, femmes et enfants au Vél d'Hiv, accroupis tellement ils sont serrés, on marche dessus. Pas une goutte d'eau, les Allemands[*] ont coupé l'eau et le gaz. On marche dans une mare visqueuse et gluante. Il y a là des malades arrachés à l'hôpital, des tuberculeux avec la pancarte "contagieux" autour du cou. Les femmes accouchent là. Aucun soin. Pas un médicament, pas un pansement. On n'y pénètre qu'au prix de mille démarches. D'ailleurs, les secours cessent demain. On va probablement tous les déporter. (p. 112)

[* il s'agissait plutôt des autorités françaises zélées, il me semble ?]
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Nous avons reçu ce matin une femme toute jeune, dont le père a été déporté il y a six mois, la mère, un mois, et son bébé de 7 mois vient de mourir. Elle a refusé de travailler pour les Allemands, quoique ce geste eût pu lui valoir la libération de sa mère. J’ai admiré, et pourtant, par moments, je doute presque de la valeur absolue des principes moraux, puisque tous les défigurent ou y répondent par la mort.
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