Citations sur Journal 1942-1944 - Suivi de Hélène Berr, une vie confi.. (100)
Ce soir, j'ai une envie folle de tout flanquer en l'air. J'en ai assez de ne pas être normale; j'en ai assez de ne plus me sentir libre comme l'air, comme l'année dernière; j'en ai assez de sentir que je n'ai pas le droit d'être comme avant. Il me semble que je suis attachée à quelque chose d'invisible et que je ne peux pas m'en écarter à ma guise, j'en viens à haïr cette chose, et à la déformer.
Au réveil, si douce la lumière, et si beau ce bleu vivant.
Vendredi 31 décembre 1943
Une fois que l'on commence à verser le sang, il n'y a plus de limites. Comme la morale et le respect de l'humanité disparaissent vite lorsqu'une certaine limite est dépassée.En un bond, on revient au stade animal. Il y a longtemps que les nazis ont rejoint ce stade.
10 octobre 1943
Car comment guérira-ton l'humanité autrement qu'en lui dévoilant d'abord toute sa pourriture, comment purifiera-t-on le monde autrement qu'en lui faisant comprendre l'étendue du mal qu'il commet ?
Dimanche soir, 19 juillet 42
Les ouvriers français refusant de partir pour l'Allemagne, Laval a alors vendu les juifs polonais et russes, pensant que personne ne protesterait. Les ouvriers, révoltés, veulent encore moins partir. Il y a encore un troisième contingent de juifs (Turcs, Grecs, Américains), et après ce seront les Françaises.
Samedi 18 juillet 42, 8 heures du soir
Nous sommes sur une corde raide qui se tend chaque heure un peu plus.
Qui dira jamais ce qu'a été la souffrance de chacun? Le seul "reportage" véridique, et digne d'être écrit, serait celui qui réunirait les récits complets de chaque individu déporté. (...) nous sommes si isolés parmi les autres, notre souffrance particulière même crée entre les autres et nous une barrière, qui fait que notre expérience demeure incommunicable, sans précédent, et sans attaches dans le reste de l'expérience du monde.
Il faudrait donc que j'écrive pour pouvoir plus tard montrer aux hommes ce qu'a été cette époque. Je sais que beaucoup auront des leçons plus grandes à donner, et des faits plus terribles à dévoiler. Je pense à tous les déportés, à tous ceux qui gisent en prison, à tous ceux qui auront tenté la grande expérience du départ. Mais cela ne doit pas me faire commettre une lâcheté, chacun dans sa petite sphère peut faire quelque chose. Et s'il le peut, il le doit.
Qu'on soit arrivé à concevoir le devoir comme une chose indépendante de la conscience indépendante de la justice,de la bonté ,de la charité,c'est là la preuve de l'inanité de notre prétendue civilisation.