DÉVALANT LA ROCAILLE
AUX PLANTES ÉCARLATES
Nous n'avons pas plus de pouvoir s'attardant sur les
décisions de notre vie que nous n'en possédons sur nos
rêves à travers notre sommeil. À peine plus. Réalité
quasi sans choix, assaillante, assaillie, qui exténuée se
dépose, puis se dresse, se veut fruit de chaos et de soin
offert à notre oscillation. Caravane délectable. Ainsi
va-t-on.
Soudain nous surprend l'ordre de halte et le signal
d'obliquer. C'est l'ouvrage.
Comment ramener au liseron du souffle l'hémorragie
indescriptible ? Vaine question, même si un tel ascendant
avait eu son heure dans nos maisons dissimulées. Il n'est
pire simplicité que celle qui nous oblige à chercher
refuge. Pourtant la terre où nous désirons n'est pas la
terre qui nous enfouit. Le marteau qui l'affirme n'a pas
le coup crépusculaire. Ô mon avoir-fantôme, qu'ils se
couchent et qu'ils dorment ; la chouette les initiera !
Et maintenant, c'est moi qui vais t'habiller, mon amour.
Nous marcherons, nous marcherons, nous exerçant
encore à une borne injustifiable à distance heureuse de
nous. Nos traces prennent langue.
VOLETS TIRÉS FENDUS
Lenteur qui butine, éparse lenteur,
Lenteur qui s'obstine, tiède comme moi.
Êtres que nous chérissons, nous vous aimons dans
le meilleur comme dans l'injustice de vous-mêmes,
hasardeusement, tels de cahotants papillons.
II.
CHACUN APPELLE
SOMMEIL DES LUPERCALES
Extrait 3/3
Éclats de notre jeunesse, éclats pareils à des lézards
chatoyants tirés de leur sommeil anfractueux ; dès lors
pressés d'atteindre le voyageur fondamental dont ils
demeurent solidaires.
II.
CHACUN APPELLE
ÉCLORE EN HIVER
La nuit s'imposant, mon premier geste fut de détruire
le calendrier nœud de vipères où chaque jour abordé
sautait aux yeux. La volte-face de la flamme d'une bougie
m'en détourna. D'elle j'appris à me bien pencher et à me
redresser en direction constante de l'horizon avoisinant
mon sol, à voir de proche en proche une ombre mettre
au monde une ombre par le biais d'un trait lumineux,
et à la scruter. Enfin, ce dont je n'étais pas épris, qui
persistait à ne pas passer, à demeurer plus que son temps,
je ne le détestais plus. Mais, à force intacte et clairvoyance
spacieuse, c'était bien, l'aube venue, mon ouvrage soli-
taire qui, me séparant de mon frère jumeau, m'avait
exempté de son harnais divin. Brocante dans le ciel :
oppression terrestre.
II.
CHACUN APPELLE
RELIEF ET LOUANGES
Extrait 2/2
Le passage de la révélation à la joie me précipita sur
le rivage du réveil parmi les vagues de la réalité accou-
rue ; elles me recouvrirent de leurs sables bouillonnants.
C'est ainsi que le caducée de la mémoire me fut rendu.
Je m'attachai une nouvelle fois à la vision du second des
trois Mages de Bourgogne dont j'avais tout un été
admiré la fine inspiration. Il risquait un œil vers le Sep-
tentrion au moment de recevoir sa créance imprécise.
À faible distance, Ève d'Autun, le poignet sectionné,
ferait retour à son cœur souterrain, laissant aux sauva-
gines son jardin saccagé. Ève suivante, aux cheveux
récemment rafraîchis et peignés, n'unirait qu'à un mode-
leur décevant sa vie blessée, sa gaieté future.
Les grands classiques du répertoire N°1 : René Char. “Claire”, suivi de “Fêtes des Arbres et du Chasseur” - Première diffusion sur la Radiodiffusion-Télévision Française : 14/05/1955. Réalisation : Alain Trutat. Musique originale : Pierick Houdy. Chef d'orchestre : Pierre Michel Le Conte. Avec Jacqueline Pagnol, Pierre Vaneck, Roger Blin, Madeleine Sylvain, Jean Mauvais, Pierre Leproux, Gaetan Jor, Jean-Jacques Morvan, Jean Péméja, Roger Pigaut, Jean Topart, Paul Emile Deiber, Lucienne Bogaert, Pierre Larquey, Michel Dumur, Catherine Goetgheluck. Et Cyril Dives à la guitare et l’Orchestre National de la RTF.
“Claire”
Dans cette suite, René Char suit le cours d’une rivière à laquelle il donne le nom familier de Claire. Il imagine que dans les villages et les lieux qu’elle traverse vivent, participant de l’existence de tous, des jeunes filles et des jeunes femmes appelées également Claire. Mais elles ne sont que des personnifications vivantes de la rivière elle-même.
Claire est celle que le poète attend, la “Rencontrée” qui seule lui permet de chasser ses fantômes et de continuer à vivre. Claire est une et plusieurs, toutes celles qui “aiment, rêvent, attendent, souffrent, questionnent, espèrent, travaillent”. À travers les personnages d’un chef d’opérations dans le maquis puis d’un chargé de mission de la Résistance, ce sont ses propres contradictions qu’interroge le poète des “Feuillets d’Hypnos”.
Dans “Claire”, il poursuit sous une forme dramatique son analyse à la fois poétique et politique du réel, avoue ses déceptions face à l’hostilité d’un monde qui aurait dû changer et s’est reconstruit, étranger à cette espérance.
“Fêtes des Arbres et du chasseur”
Poème pour voix et guitare.
Deux joueurs de guitare sont assis en plein air dans l’attente du chasseur. Ils échangent des poèmes.
Thèmes : Création Radiophonique| Radiodiffusion-Télévision Française| Grands Classiques| Poésie| France Culture| René Char
Source : France Culture
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