Témoignage tout à fait exceptionnel que celui d'Heidi Benneckenstein, née Heidrun Redeker en 1992 dans un bled près de Munich en Bavière.
Exceptionnel puisque le récit de néonazis qui ont compris très jeune encore leur erreur et ont réussi à modifier radicalement leurs "croyances" fondamentales est rarissime. Peut-être parce que les dangers auxquels s'exposent ces "Verräter" ou traîtres aux yeux des primitifs, stupides et violents néonazis, demande une forte dose de courage et raconter la cuisine interne de cette mouvance super-charmante n'est pas sans risques.
Je crois qu'il s'agit d'un témoignage unique, ne connaissant aucun autre de ce genre.
En tout cas, j'ai commandé cet ouvrage le 10 septembre dernier, sachant parfaitement bien que la date de publication par l'éditrice Liana Lévy était fixée au 4 octobre 2018. C'est vous dire ma curiosité !
Ce témoignage étonnamment honnête vaut la peine d'être lu pour se rendre compte de l'ampleur d'un phénomène hautement inquiétant : celui de groupes et de partis politiques qui proclament un nationalisme étroit, défendent des thèses xénophobes et sexistes, nient l'holocauste, ont la nostalgie d'un chef puissant du style
Adolf Hitler, sont vigoureusement contre l'Union européenne et l'OTAN, admirent des gugusses comme Orbán, Salvini, Trump et Poutine.
À titre d'exemple, rien qu'en Allemagne le parti d'extrême-droite, Alternatives pour l'Allemagne, compte depuis les dernières élections, en septembre 2017, 92 députés au parlement fédéral ("Bundestag"), soit 12,7 %. Avant d'être désavoué, un de leurs leaders a même eu la délicatesse d'affirmer qu'il se réjouissait du problème des réfugiés !
Heidi Benneckenstein est issue de milieu modeste. Son père, un fonctionnaire des douanes et néonazi convaincu a inscrit sa fille au mouvement HDJ ("Heimattreue Deutsche Jugend") ou "jeunesse allemande patriote", lorsqu'elle était toute petite. À 3 ans, elle partait déjà, contre son gré et plein d'angoisse, pour son premier camp clandestin néonazi, à l'image de ceux des jeunesses hitlériennes : uniforme, discipline, et entraînement pour préparer la venue du IVe Reich et récupérer "leurs" terres en Pologne, Russie etc.
Et à part de la gymnastique et des marches forcées, qu'est-ce que vous pensez que ces braves gens font dans ces camps à l'abri des yeux des journalistes ? Mais écouter des bobards politiques sur les méfaits du gouvernement allemand et de l'UE, bien entendu. Pour une gamine comme notre Heidi cela a dû être le pied.
Et les vacances de notre gamine se passaient invariablement au Lac Balaton en Hongrie. La Yougoslavie, la Pologne et la Russie occupaient des terres allemandes et l'Europe occidentale était trop pourrie pour visiter, selon son père savant. Les Hongrois, en revanche, avaient été de très bons fascistes et cela se passait avant l'apparition du grand démocrate Viktor Orbán. Cela ne m'étonnerait pas que M.Redeker s'y soit installé aujourd'hui en permanence !
Sa mère était toute différente, mais ne faisait pas le poids contre son délicieux mari. Finalement, c'est la énième histoire extra-conjugale qui l'a incité à demander le divorce. Ses 2 soeurs aînées ont été confiées à sa mère, mais Heidi et sa jeune soeur ont été soumises au régime mixte, ce qui impliquait des visites régulières au paternel, ce dont elle avait horreur. Ses résultats scolaires furent tellement misérables qu'il ne lui restait que l'option d'une formation technique. En même temps, l'assistance sociale l'obligea de suivre une thérapie, la pauvre avait développé une névrodermite.
Coupable ou innocente ? Heidi avoue ses activités peu reluisantes pour la droite radicale, comme coller des affiches, perturber des manifestations pacifiques, mais imprégnée dès qu'elle était bébé de cette magnifique idéologie peut-on lui en vouloir ? Elle a tout particulièrement honte d'avoir, à l'occasion de l'enterrement d'un vieux néonazi, frappé violemment un journaliste. Mais elle n'avait que 15 ans, n'était pas la seule, le journaliste s'en est bien tiré et la police ne l'a pas arrêté, malgré des photos compromettantes dans les journaux.
En dépit de ce lavage de cerveau constant, de temps à autre elle était envahie par le doute. En lisant un livre d'un haut dignitaire nazi qui amena son unique fils, un handicapé, à un centre où il risquait l'euthanasie par exemple, ou lorsqu'un jeune basané du Kosovo la sortait des griffes d'une bande de néonazis bourrés.
C'est sa rencontre avec Felix Benneckenstein, pourtant un chanteur-compositeur néonazi quoique de plus en plus déçu du niveau de ses anciens camarades, et dont elle était tombée amoureuse, qui l'a fait réfléchir sérieusement. Losqu'à 17 ans elle s'est trouvée enceinte, elle a "remis en question ma vision du monde, mes amis, mon passé, toute ma vie" (page 183). Malheureusement elle a fait une fausse couche.
Décrocher complètement de ce milieu a été pour Heidi et Felix un difficile et long procès, mais ils y sont arrivés - entre autres grâce à une protection de la police - et ensemble ils ont créé une section bavaroise d'Exit, une organisation d'aide à la déradicalisation. le couple s'est marié en 2014 et a eu un enfant en 2016. Depuis 5 ans maintenant, Heidi travaille dans un jardin d'enfants, pendant que son mari parcourt l'Allemagne pour faire des conférences dans des écoles et centre de jeunesse.
Il y a à peine un mois, un reportage à la télé flamande a fait sensation en révélant l'existence de tout un groupe de jeunes fascistes, admirateurs d'
Adolf Hitler, qui se baladaient en uniforme, se rencontraient clandestinement, étaient fascinés par les armes et surtout actifs sur internet, où ils proclamaient leurs messages xénophobes, antisémites, racistes, sexistes et misogynes, en s'inspirant des médias de l'ultradroite, genre Breitbart. Leur chef de file avait même réussi à se faire élire, comme étudiant, au conseil de l'université de Gand. Plusieurs membres de cette bande de guignols peu adultes et sortis des classes moyennes et de parents aisés figurent encore comme candidats pour les prochaines élections municipales sur des listes du parti de Bart de Wever, qui le pauvre n'en savait strictement rien ? Qu'est-ce que je peux dire, à part que j'ai vraiment honte et que j'espère du fond du coeur que cela coûtera beaucoup de voix à cet homme et à son parti !
Je peux recommander cet ouvrage d'Heidi Benneckenstein, qui n'est peut-être pas très littéraire, mais exceptionnellement honnête, instructif et qui a bénéficié d'une excellente traduction par Élisabeth Landes, qui a ajouté de fort utiles notes de bas de page.
C'est aussi un ouvrage d'espoir pour les jeunes, car il prouve qu'il est possible "de quitter le marais brun", de trouver un sens dans la vie... et d'être .... comme
Heidi Benneckenstein a déclaré, il y a 2 semaines dans une entrevue sur une chaîne de télé allemande : "heureuse".