Je me suis tourné vers mes parents, je n'ai trouvé que la défaite dans les yeux de mon père silencieux et le renoncement dans ceux de ma mère. Ils citaient des extraits d'un livre qu'ils n'avaient jamais lu, transmis par ouï-dire, se pliaient en quatre à se tordre les os, invoquaient des saints qui m'étaient étrangers, ouvraient leurs mains au ciel qui ne les entendait pas. Lorsque j'ai compris, il était trop tard.Je mordais dans la vie et je venais d'être mordu dans le dos. Les morsures se succédaient et mon dos ne reposait plus que contre du vide. Ivresse d'un matin d'effroi. Mes parents n'étaient pas mes parents. Ou alors le fils que j'étais n'était pas leur fils.
“ Tu vois ce qu'ils ont fait de nous ? Ouvre les yeux. Ils ont pris nos corps et les ont flagellés. Ils ont entravé nos mains et ligotés nos jambes. Ils nous ont bâillonnés. Dans nos ventres ils ont creusé des gouffres. Ils ont pris nos vies et broyés nos cœurs. Même notre air, ils l'ont pollué. Ah ! Nos mots ! Ne les ont-ils pas pervertis ? Ils ont arraché notre verbe et soufflé la haine dans nos veines. Ils ont même affolé les poètes. Que reste-t-il ? Dis-moi ce qu'il nous reste. Leurs mensonges comme autant de plaies. Leurs allégories comme autant de dagues plantées. Il restera leurs meurtrissures, il restera nos cicatrices, la souillure qu'ils ont semée. ”
“ Rappelez-vous de moi, le fou qui hante vos esprits et vos mémoires. Je ne vous céderai rien de ce qui m'appartient, de ce qui me fut transmis par mes ancêtres. Vous les avez vaincus, enfouis dans des gouffres, jetés aux oubliettes. J'interrogerai leurs ossements, qu'ils content leur récit et dévoilent vos méfaits. Je ne vous céderai rien non plus de la découverte du monde, ses attraits comme ses atours. Vous m'avez cru mort, je suis vivant. Vous avez sous-estimé l'amour car il vous est inconnu. Vous ne connaissez que brutalité et cruauté. Ma joie est là car tout se sait et votre félonie a été éventée. Je suis Amray, amour du monde et de ses mystères. ”