"Tu es partie il y a si longtemps que la haine s'est éteinte, évaporée avec les années. Sans doute ma colère s'était-elle simplement fracassée sur le mur de ton absence. Alors j'ai décidé de vivre avec ce mur qui s'est transformé en une sorte de mire de vieille télévision, un faux rien."
Elle sait qu'elle s'est construite "contre", contre les souvenirs que les autres ont de sa mère et qu'ils lui balancent à la tête sans ménagement, sans même se demander si elle souhaite en entendre parler ; contre ses propres souvenirs d'enfant face à cette femme très belle, actrice de talent, ivre, imprévoyante, imprévisible, toujours en retard, qui était sa maman ; et contre son absence.
Clémentine Autain vient d'assister aux obsèques d'une amie très proche.
Elle rentre en voiture, quand une réminiscence de l'enterrement de sa mère la cisaille, le silence qui l'a entouré.
"Des dizaines et des dizaines de personnes sont venues te rendre hommage et déposer à tour de rôle une rose rouge dans ton caveau mais aucun mot n'a été prononcé, aucun témoignage n'a pu être partagé."
Trente ans plus tard, c'est ce qui l'oblige à garer sa voiture, sidérée.
Peu à peu, en tirant sur le fil, doucement qu'il ne casse pas, doucement qu'il ne s'emmêle pas, doucement qu'il lui permette d'aller jusqu'au bout, elle découvre une autre réalité que celle que sa mémoire lui restituait à coup sûr, gravée dans le marbre, et une envie de connaître autrement, de reconnaître sa mère.
Elle raconte ce qui lui vient, partageant les rigolades comme les pincements de honte, l'incompréhension, cette sensation d'abandon absolu dans l'appartement vide de ses sept ou huit ans, les souvenirs cuisants arrivant les premiers.
Elle s'imagine lui parlant, doù ce "tu" fleurissant sur les pages.
"Peut-être suis-je violente mais j'ai décidé de ne pas mâcher mes mots pour tenter de régler nos comptes et de me débarrasser de la boule qui se forme dans ma gorge dès que tu réapparais dans ma vie. Personne ne la voit, elle est tassée à l'intérieur mais je la sens. Je l'ai domptée et pourtant, elle m'habite encore au point d'imaginer que parler à un cadavre pourrait me rendre plus sereine."
Une silhouette plus délicate pourtant se dessine, se précise.
Les sentiments contradictoires la secouent, les rencontres aussi, de toutes ces personnes qui ont connu sa mère et lui en parlent, qu'elle le veuille ou non.
Jusqu'à ce qu'elle le veuille, surtout, et recherche justement dans la vie de sa mère qui pourrait lui en parler.
Tout comme elle, qui le dit dans l'ouvrage, j'aime voir de ces duos d'une mère avec sa fille, m'imaginer quelles peuvent être leurs relations, ce qu'elles peuvent se dire, j'ai une vraie curiosité pour elles quand je les croise dans le métro, ou bien dans un magasin.
C'est cette curiosité qui m'a amenée à lire
Dites-lui que je l'aime.
J'ai été très touchée par cette remontée à la rencontre d'une femme dont elle avait enfoui le souvenir, et l'écho qu'elle en retrouve à bien des moments de sa propre vie.
Travail de mémoire autant que travail de deuil,
Clémentine Autain nous dit cette expérience dans un petit ouvrage dense et émouvant.
Ce faisant, elle nous offre un double portrait, celui de Dominique Laffin, Domino, partie bien trop tôt, et celui de Clémentine qui a dû apprendre à vivre dans le vide qu'elle a laissé.